دروس خاصة بطلبة الدكتوراه- للمتابعة

مديرية التكوين في الدكتوراه والبحث العلمي

إعلان لفائدة طلبة الدكتوراه

 

تدعو مديرية التكوين في الدكتوراه والبحث العلمي طلبة الدكتوراه إلى التواصل مع الأساتذة المشرفين عبر البريد الإلكتروني ومواصلة إرسال أعمالهم للأساتذة، وهذا حرصا منا على المتابعة المستمرة لأعمال الطلبة.

نرجو من الطلبة والأساتذة التعاون في هذه الظروف لتجاوز هذه المحنة.

مع تمنياتنا لكم ولذويكم بالعافية ودوام الصحة.

 

Module: The Role of Regional Organizations for African Development

PR. MALIKA REBAI MAAMRI

School year: 2019-2020 Doctoral Studies-

contact me by email to life875@yahoo.fr

lien: http://www.enssp.dz/sites/default/files/fichiers/1376.pdf

 

Pr.MALIKA REBAI MAAMRI

National Postgraduate School of Political Science

Algiers, Algeria

 

Course 2: THE AFRICAN UNION
lien: http://www.enssp.dz/sites/default/files/fichiers/1392.pdf

The African Union It succeeded the Organization of African Unity (OAU)

lien: http://www.enssp.dz/sites/default/files/fichiers/1393.pdf

 

Séminaire destiné aux doctorants de 2ème année

 

Fatma-Zohra KOUCHKAR FERCHOULI
HDR / MCA 

École Nationale Supérieure de Sciences Politiques
11, chemin Doudou Mokhtar, Ben Aknoun, Alger, 16 000 

 

 

Consignes

 

Chers doctorants,

Voici un texte qui traite d’un sujet crucial, à savoir l’analyse du discours politique. Ce texte est d’autant plus intéressant :

  1. qu’il pose le problème de l’utilité de l’analyse du discours et des stratégies discursives qui caractérisent ce type de discours, d’une part ; 
  2. et qu’il est très riche en notes de bas de page et de références bibliographiques.

 

 

Texte : A quoi sert d’analyser le discours politique * ?

in Análisi del discurs polític, IULA-UPF, Barcelone, 2002

Introduction

A quoi sert d’analyser le discours politique ? Cette question est-elle hors de propos ? On pourrait le penser dans la mesure où existe déjà une tradition de l’analyse du discours politique. Pourtant, il convient de se poser une telle question, car l’analyse du discours en tant que discipline constituée n’est pas la seule à s’intéresser au discours politique et à prendre celui-ci comme objet d’étude. Il faut alors se demander si une telle approche apporte un point de vue et des résultats spécifiques.

Deux questions se posent à ce propos. Une analyse du discours dit-elle plus que les analyses qui apparaissent dans la Presse, que celles-ci émanent de journalistes ou d’intellectuels engagés ? Une telle analyse se différencie-t-elle des études d’autres disciplines telles la sociologie, l’anthropologie sociale, les sciences politiques, l’histoire ? Nous ne répondrons pas tout de suite, mais commençons par poser ces questions parce qu’on ne peut avancer dans une discipline si on ne sait pas en quoi elle se différencie des autres. Il est donc nécessaire de s’interroger, d’une part sur le type d’approche que l’on choisit pour étudier un certain objet, et, conséquemment, sur les caractéristiques de cet objet. C’est ce que nous nous proposons de faire avant de conclure sur les objectifs d’une telle analyse.

1. Un positionnement sur le discours

Nous partirons de l’hypothèse que le discours politique n’a pas de sens hors de l’action, et que dans l’action se joue, pour le sujet politique, l’exercice d’un pouvoir. Il faut donc qu’une théorie du discours dise comment elle conçoit les rapports entre discours, action et pouvoir.

Discours et action

Sans entrer dans le détail d’une longue discussion développée ailleurs [1], nous nous contenterons de résumer notre point de vue sur cette question.

Discours et action sont deux composantes de l’échange social qui ont une autonomie propre. C’est de leur combinaison que naît le sens de l’échange langagier. Ainsi, on considérera que les faits de langage sont essentiellement des faits de communication qui ont une double dimension. Une dimension dite "externe" en ce que les acteurs qui y sont impliqués ont des attributs psychologiques et sociaux à priori indépendants de leur comportement langagier : leur identité et leur intentionnalité sont liées à une expérience de l’enchaînement des faits et des événements du monde qui les place dans une logique des actions (détermination d’une quête, recherche d’un résultat, évaluation positive ou négative des conséquences), non dépendante du langage [2]. Une dimension dite "interne" dans laquelle les acteurs ont des attributs proprement langagiers, lesquels peuvent renvoyer à des aspects psychologiques et sociaux mais cette fois en tant qu’"êtres de langage" : c’est à travers leurs réalisations langagières que ces acteurs se construisent une identité discursive et une visée d’influence sur l’autre partenaire de l’échange.

Ainsi, tout discours s’inscrit dans un certain cadre actionnel où sont déterminés les identités sociales, les buts et les rôles sociaux des partenaires de l’échange langagier. Ce cadre, (que nous appelons "situationnel" ou "communicationnel") comprend donc un ensemble de contraintes qui déterminent le comportement discursif de ces partenaires : possibilité de prise de parole selon le droit qui leur est accordé, rôles énonciatifs qu’ils doivent endosser, modes d’organisation du discours qui sont attendus [3]. C’est dans un tel cadre que prend existence le projet d’influence du sujet communiquant. Celui-ci procède à une mise en discours dans laquelle il combine les visées qui lui sont imposées par les contraintes situationnelles et celles qui correspondent à son propre projet de communication en fonction de la façon dont il imagine son interlocuteur. Le sujet interprétant, de son côté, procède à une construction de sens du message qu’il reçoit en combinant les données du cadre situationnel qu’il est censé connaître et celles qu’il perçoit dans la mise en scène du discours comme étant propres au sujet communiquant. C’est également en fonction de ce cadre actionnel que se construit ce que l’on appelle le "positionnement" du sujet communiquant. Ce positionnement résulte de la combinaison entre les contraintes de ce cadre, quant à la vision du monde social qu’il impose, et l’expérience, le savoir et les systèmes de valeur qui sont propres au sujet parlant tout en les partageant avec les membres de son groupe. Car, si le sujet parlant est porteur pour une part des valeurs qui circulent dans le (ou les) groupe social auquel il appartient (ou croit ou désire appartenir), lorsqu’il communique, il prend nécessairement position par rapport à celles-ci, même quand il ne s’en rend pas compte.

Cet agir sur l’autre en s’appuyant sur les représentations du monde et les valeurs qui circulent dans la société rejoint la problématique que J. Habermas propose sous la dénomination de l’« agir communicationnel » (1987), à condition de l’entendre en termes langagiers : un agir qui est communication (comme la résultante des échanges langagiers), une communication qui est agir (par les effets et les transformations que produisent les faits langagiers). Nous y ajouterons cependant que l’acte de communication se définissant comme un acte d’échange toujours « interactionnel », le sens qui en résulte ne dépend pas de la seule intention du sujet parlant mais de la rencontre entre cette intention et celle du sujet interprétant Cette problématique constitue le cadre dans lequel nous inscrivons notre réflexion sur le discours politique [4].

Discours et pouvoir

Agir sur l’autre, cela veut dire que la position de pouvoir dans le langage s’inscrit dans un processus d’influence qui vise à modifier l’état physique ou mental de l’autre. Ainsi, on ne confondra pas le simple "pouvoir d’agir" qui renvoie à une aptitude de l’individu à exécuter une tâche, avec le pouvoir d’"agir sur l’autre" qui renvoie à un projet intentionnel ayant pour visée d’influencer le savoir ou le comportement de l’autre. Symétriquement, d’ailleurs, l’autre se trouve placé dans la position d’avoir à modifier quelque chose en lui.

Mais agir sur l’autre ne peut en rester à une simple visée de faire faire, de faire dire ou de faire penser. Elle inclut dans cette visée l’exigence de voir l’intention suivie d’effet. Cette exigence complète la visée communicationnelle par un but d’action qui consiste à mettre le sujet visé dans une position d’obligation à s’exécuter, c’est-à-dire dans une relation de soumission à la position du sujet communiquant. Dès lors, se pose la question de savoir ce qui peut obliger le sujet visé à s’exécuter. On fera l’hypothèse que c’est soit l’existence d’une menace qui plane sur lui et qui risquerait de le mettre à mal s’il refusait d’obtempérer, soit l’existence d’une possible gratification qu’il pourrait obtenir s’il acceptait de se soumettre. Menace ou gratification constitue une sanction. C’est cette possibilité de sanction qui confère au sujet communiquant une autorité. Dès lors que celle-ci est reconnue par le partenaire, le projet d’influence acquiert une certaine force d’action (la force perlocutoire des pragmaticiens), le sujet cible est mis dans une position de dominé, le sujet autoritaire dans une position de dominant, et les deux dans un rapport de pouvoir.

Enfin, on peut se demander au nom de quoi le sujet communiquant a le droit d’exiger, et, du même coup, au nom de quoi il peut exercer une sanction et au nom de quoi l’autre doit obéir. Cela revient en fin de compte à s’interroger sur ce qui fonde l’autorité et le droit à exercer une sanction. Le « au nom de quoi » renvoie à la question du lieu dans lequel se trouve une force de vérité qui justifierait que les hommes doivent accomplir des actes. Plusieurs cas peuvent se présenter, mais on les ramènera à deux de base : la force de vérité est d’ordre "transcendantale" ou "personnelle".

Dans le premier cas, la force de vérité est extérieure aux partenaires de la relation. Il s’agit d’une sorte de "tiers mythique" qui occupe la place d’une autorité transcendantale dictant la loi et à laquelle se réfèrent les deux partenaires : un Grand Autre [5]. Des nuances peuvent ensuite être apportées à ce Grand Autre qui peut prendre diverses figures. Il peut être perçu comme une puissance de l’au-delà (le « droit divin » des rois, des représentants religieux comme le Pape, des prophètes, voire des gourous). Ou il peut être considéré comme une puissance résultant de la volonté des hommes, une entité abstraite qu’eux-mêmes ont institué en tiers les surdéterminant (le Peuple, l’Etat, la République, la Nation, voire le progrès, la Science, etc.), ce que Durkheim appelle « le social divin » [6], le sujet n’étant ici que le délégué de cette volonté générale (Président de la République ou tout autre chef d’Etat élu) [7].

Dans le second cas, la force de vérité est plus restreinte dans la mesure où elle n’est plus externe mais interne au sujet communiquant, comme un attribut qui lui appartiendrait en propre et lui confèrerait une "autorité personnelle". S’établit alors un rapport dominant-dominé direct entre les deux partenaires de l’échange. Cette autorité personnelle peut elle-même se spécifier en figures dites "naturelles" : la filiation (la parenté), l’expérience (le savoir-faire), les traits de personnalité (le charisme) ; "institutionnelles", celles-ci provenant d’un type d’attribut dont l’origine est extérieure au sujet, tout en lui étant interne, comme s’il lui était incorporé (armée, église, administration, justice, diplomatie, etc.).

En fin de compte, cette question du « au nom de quoi » un sujet peut exiger d’un autre une soumission renvoie au concept de légitimité. La légitimité est-elle une notion identique à celle d’autorité ? Deux définitions de la légitimité sont possibles. L’une, large, qui, comme nous venons de le dire, rend légitime toute autorité qui procède d’un Tiers (serait-il intériorisé), dont le pouvoir est reconnu et accepté par ceux vis-à-vis de qui il sera exercé. L’autre, restreinte, qui réserve la légitimité au cas où l’autorité du sujet est conférée par la volonté d’un collectif qui définit lui-même les conditions d’exercice de l’autorité, et donc en accepte l’application parce qu’il en est le promoteur. Cette définition rejoint celle qui, dans le domaine politique, dit que la "démocratie représentative" se caractérise précisément par un pouvoir dont la légitimité est issue d’une "souveraineté populaire".

2. Le discours politique éclaté

Si le discours est toujours produit en situation de communication et qu’il dépend pour sa signification des enjeux que celle-ci détermine, alors on ne peut parler du discours politique mais des discours politiques. Ces discours cependant ne sont pas en nombre illimités car les situations de communication se regroupent en types plus ou moins stables autour d’enjeux bien déterminés qui définissent en même temps un type de destinataire. On distinguera trois types d’enjeux.

L’un, tourné vers l’organisation du contenu, consiste à regrouper des membres d’une communauté autour de valeurs de référence qui doivent constituer la médiation sociale du groupe (idéologie), son ciment identitaire. Il en résulte des communautés d’opinion dont les membres sont liés par une doxa, des croyances partagées qui font l’objet d’un discours plus ou moins théorisant et constitue une mémoire commune, non nécessairement consciente. Il se développe là une activité langagière qui vise à construire un système de pensée qui fonde les appartenances idéologiques.

L’autre enjeu est tourné vers les acteurs qui participent à la scène de la communication politique, et il consiste à influencer les opinions des uns et des autres (discours de séduction et de persuasion) afin de parvenir à l’établissement de consensus. Il en résulte des sortes de communautés communicationnelles dont les membres sont liés par une mémoire d’action qui leur donne l’illusion de fusionner dans un même comportement au nom d’une même opinion. En effet, c’est dans le cadre de ces différentes situations qui structurent l’action politique (meetings, débats, affichage de slogans, réunions, rassemblements, défilés, cérémonies, déclarations télévisuelles) que se construit un imaginaire d’appartenance communautaire, une "communitas", mais cette fois davantage au nom d’un comportement commun plus ou moins ritualisé qu’au nom d’un système de pensée, même si celui-ci, à l’évidence, traverse celui-là (mais ne fait que le traverser). C’est en raison de cette activité langagière communicationnelle que le discours politique peut être dit discours de la rhétorique et de l’influence, s’attachant davantage à construire des images et des effets que des idées.

Le troisième enjeu est tourné vers autre chose qu’une finalité politique. Bien sûr, le propos porte sur du politique, mais il s’inscrit dans une situation dont la finalité se situe hors du champ de l’action politique. C’est un discours à propos du politique, sans enjeu politique. Ici, du même coup, pas de communauté spécifique si ce n’est celles, circonstancielles, des situations d’échange conversationnel, ou autres, dans lesquelles se mêlent des propos divers avec des visées interactionnelles variables. L’activité langagière est ici de "commentaire", et sa particularité est de ne pas engager le sujet qui le tient dans une action qui lui serait consécutive [8]. Mais il peut être révélateur de l’opinion du sujet qui commente, sans que l’on puisse savoir exactement quel est le degré d’engagement de celui-ci vis-à-vis d’elle. C’est ce qui explique que bien des discussions politiques puissent tourner court, s’arrêter ou dévier (en humour) sans qu’elles arrivent à un terme de fixation d’une opinion ou de prise de position. Le discours de commentaire politique est celui que l’on entend fréquemment dans les conversations de bistrots, entre amis ou en famille, mais c’est aussi celui qui est tenu —avec plus de sérieux— par les journalistes qui commentent l’actualité politique. En effet, le contrat d’information médiatique exige qu’ils le fassent hors du champ de l’action politique et sans engager leur propre opinion [9]. C’est un discours du « comme si » l’enjeu était politique alors qu’il ne l’est pas. Le fait que celui-ci soit plus difficilement repérable, le fait qu’il n’aboutisse pas à la constitution d’une communauté spécifique ne signifie pas qu’il échappe à l’analyse. Il est en effet intéressant de « traquer » dans des textes qui appartiennent à des situations de communication anodines (anodines du point de vue politique) ce qui peut faire "effet de discours politique".

Les discours se diffusent, tournent, se partagent, s’étendent, dérivent, se transforment au point de perdre parfois leurs données d’origine. Ainsi en est-il du discours politique qui peut être construit de façon rigoureuse, théorisante, dans son enjeu d’élaboration d’un système de pensée, puis traverser différentes situations de communication et communautés d’opinion en s’édulcorant, s’insinuer dans les commentaires, revenir en son point d’origine et réapparaître à différentes époques dans des communautés différentes, mais reconstruit différemment. Au regard de ce phénomène, qui dira l’influence politique que peut avoir tel meeting, telle manifestation de rue, telle déclaration télévisée, tel débat ? Mais qui dira également l’influence politique que peut avoir tel manuel d’histoire, tel journal d’information, telle circulaire d’entreprise rédigée pour orienter les embauches, ou même telle pièce de théâtre (Brecht), tel roman (Sartre), telle poésie (les poètes espagnols de la génération des années 27) ?

3. Le dispositif communicationnel du discours politique

Reste qu’existe un lieu plus spécifiquement politique, celui qui se déclare comme tel et s’organise en vue de cette même finalité. On partira donc de l’hypothèse que la pratique sociale se développe dans ce que certains appellent des domaines, d’autres des champs (Bourdieu), et que nous préférons appeler des sphères d’action sociale. Ces sphères, parfois sont disjointes les unes des autres, parfois entretiennent des relations étroites entre elles. C’est la cas des sphères juridique, économique, médiatique et politique qui se définissent autour d’enjeux qui les font parfois s’entrecroiser.

L’enjeu de la sphère juridique consiste à réguler le monde des conflits sociaux (au sein de la vie économique, du travail et de l’organisation des entreprises, du quotidien) et à déterminer les valeurs symboliques autour des notions de propriété, d’égalité, de conduite morale, etc. qui doivent justifier un certain arsenal législatifL’enjeu de la sphère économique consiste à réguler le monde marchand et à déterminer les valeurs d’échange et d’usage de ce qui constitue le profit individuel ou collectif, quelle que soit la nature de ce profit. L’enjeu de la sphère médiatique consiste à réguler le monde de la circulation de l’information, en faisant en sorte que celle-ci atteigne le plus grand nombre de citoyens, les intéresse et leur permette de se faire une opinion. Quant à l’enjeu de la sphère politique (au sens restreint), il consiste à réguler le monde de la gouvernance à travers l’instauration d’instances législatives et exécutives, et à distribuer des tâches et des responsabilités.

Ces quatre enjeux ont une organisation qui leur est propre, donnant lieu à l’existence d’un dispositif propre, mais ils dépendent en même temps —du moins en grande partie— des autres. Par exemple, la Justice dépend étroitement, pour son organisation, pour la prise de décision et pour l’exécution des sentences qu’elle profère, du pouvoir politique. L’Économie, elle, se trouve dans un rapport à la fois de dépendance et d’autonomie vis-à-vis du politique ; de dépendance, lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques, de monnaie, d’opérations boursières, d’incitation à la consommation, de lutte contre le chômage, etc. ; d’autonomie, lorsque celle-ci peut exercer à son tour des pressions sur les projets politiques. Les Médias quant à eux se trouvent dans une situation de contradiction. Ils sont étroitement liés au monde politique pour la recherche de l’information, mais en même temps ils cherchent, pour être crédibles, à se distancier du pouvoir politique.

Les instances du dispositif

Toute sphère d’action sociale s’organise selon un dispositif communicationnel qui détermine les places que doivent tenir les différentes instances qui en font partie et les rôles qu’elles doivent tenir. Si on regarde de près comment s’organise le dispositif communicationnel de la sphère politique, on y verra trois instances : politiquecitoyenne et médiatique.

L’instance politique est motivée dans son action par le désir d’occuper la place du pouvoir et de s’y maintenir, mais elle ne peut le dire explicitement. Réclamer le pouvoir ou revendiquer une position de pouvoir si déjà on la possède serait contre-productif. Il n’y a pas d’autre justification au pouvoir que la situation de pouvoir elle-même (que ce soit par la force ou par les urnes). Le discours politique ne peut donc s’employer qu’à justifier la position qui permet d’exercer le pouvoir, c’est-à-dire s’employer à légitimer et, ajouterons-nous, à rendre crédibles ceux qui le possèdent et l’exercent. En outre, l’instance politique est une entité qui recouvre divers statuts, diverses situations, diverses relations. Divers statuts car existent au sein de celle-ci des charges et des fonctions différentes : de chef d’État, de chef de gouvernement, de responsables de ministères, de représentants des diverses Assemblées nationales. Diverses situations de communication parce qu’une partie de l’instance politique peut se trouver tantôt en situation d’avoir à débattre avec une autre partie opposée (débat télévisé), tantôt en situation d’avoir à faire des déclarations au peuple (allocution télévisée), tantôt en situation d’avoir à décider (publication de décrets), tantôt en situation d’avoir à exalter ses partisans (meeting électoral). Enfin, l’instance politique, et de par la diversité de ces situations, établit avec son partenaire principal, l’instance citoyenne, des relations diverses selon la façon dont elle l’imagine : comme un public tout venant lorsqu’il s’agit de s’adresser à lui par le biais des médias ; comme des citoyens ayant une opinion lorsqu’il s’agit de faire des promesses électorales ; comme des militants acquis par avance à une orientation politique lorsqu’il s’agit de faire campagne.

L’instance citoyenne, elle, est peut-être motivée par des intérêts qui lui sont propres et la recherche de son bien-être personnel. Il n’empêche que les discours de revendication et de protestation qu’elle pourrait tenir se font au nom d’un idéal de bien-être social. Les sondages en tout cas montrent que les indices de contentement montent ou descendent à proportion de la satisfaction des intérêts collectifs (réactions face à la répartition de la croissance, du prix trop élevé des carburants, de l’adhésion au blocus des carburants malgré la gêne occasionnée, etc.). Le discours de l’instance citoyenne ne peut donc que s’employer à interpeller d’une façon ou d’une autre la puissance gouvernante. En outre, l’instance citoyenne est une entité qui recouvre des organisations, des situations et des relations différentes : des organisations plus ou moins institutionnelles (syndicats, corporations, coordinations, groupes ethniques, peuple tout venant) ; des situations de manifestation de rue, de vote, de pression auprès des personnalités politiques, des notables locaux, par le biais des sondages ou des médias.

L’instance médiatique —du moins la partie de la sphère médiatique qui s’intègre dans la sphère politique— est d’abord motivée par des intérêts économiques, vu la concurrence féroce qui existe entre les divers organes d’information [10]. Mais le discours qui la justifie met en avant son devoir d’informer et de promouvoir le débat démocratique, de sorte à être reconnue dans son droit à rapporter l’événement politique à le commenter, voire à le dénoncer. Le discours de l’instance médiatique est donc pris, comme nous avons été amené à le montrer [11], entre une visée de captation pour fidéliser son public et un discours de crédibilité pour justifier sa place dans la construction de l’opinion publique. Ce qui l’amènera tantôt à traquer le caché sous les déclarations politiques, tantôt à dramatiser le récit des événements, tantôt à tenter d’expliquer sans prendre parti.

Les caractéristiques propres à chacune de ces instances expliquent que celles-ci s’inscrivent dans des cadres temporels différents. Le temps de l’instance politique est double : de "réaction" et de "résistance". De réaction, non pas tant vis-à-vis des événements dont il faut toujours voir venir les conséquences, mais vis-à-vis des réactions des autres (adversaires, médias et opinion publique). Le temps de l’instance citoyenne est celui de l’immédiateté mesurée à l’impatience de voir réparée une situation dégradée dont elle est la victime directe ou indirecte (« Basta ya ! »). Le temps des médias est également celui de l’immédiateté, mais pour des raisons légèrement différentes. Immédiateté par rapport à l’événement puisque le principe de « saillance » qui guide l’information veut que soit traitée l’actualité au plus près de son surgissement, ce qui en même temps donne à ce temps un caractère éphémère, une nouvelle chassant l’autre. Mais immédiateté aussi par rapport à l’impatience citoyenne, ou du moins à ce qui est imaginé comme tel, ce qui rend ces deux instances partiellement complices au regard du temps dans lequel devraient s’accomplir les promesses énoncées par l’instance politique.

Le dispositif comme cadre de souveraineté

Ce qui tient ce dispositif, ce qui en constitue le ciment symbolique et rend solidaires ces différences instances, s’appelle « souveraineté ». La souveraineté est affaire de représentation, au double sens de cette notion, c’est-à-dire de « mis pour » (quand on représente quelqu’un ou un groupe, on est à sa place et on parle en son nom) et de « porteur de » (quand on représente quelqu’un, on partage ses valeurs au point de les porter en soi). Celui qui occupe une position de souveraineté est donc mis pour une autre puissance qui se trouverait au-dessus de lui, qui l’aurait investi en cette place, le délèguerait et en même temps le protègerait. Le souverain n’est jamais que le porte parole d’une voix dont l’omnipotence tient à ce qu’elle ne se trouve pas ici-bas mais dans un au-delà inaccessible, et il n’agirait que guidé par une sorte de « Main invisible » (A. Smith) qui à la fois oriente et protège celui qui agit en son nom. Le souverain est donc sous tutelle, mais il est en même temps la puissance tutélaire elle-même puisque c’est elle qui l’a investi, qu’elle en a fait son dépositaire le faisant coller à elle et même se fondre en elle. Cette puissance tutélaire peut être conçue dans un imaginaire religieux (Dieu) ; elle engendre alors des monarchies de droit divin. Elle peut être conçue dans un imaginaire laïc (Le Peuple) —mais peut-être faudrait-il dire "laïc-divin" pour faire écho au « social divin » de Durkheim— ; elle engendre alors des démocraties, du moins les régimes politiques qui se fondent, comme le rêvait Rousseau et l’a redit H. Arendt, sur une « volonté commune des hommes de vivre ensemble » [12]. Du même coup, le souverain est porteur de la volonté de cette puissance tutélaire qui est censée avoir un projet pour le bien commun. Avoir un projet pour le bien commun, cela veut dire avoir imaginé une société idéale dans laquelle le genre humain vivrait dans le bonheur absolu, et avoir défini les moyens d’y parvenir [13] La position de souveraineté se trouve donc investie d’une Toute-Puissance par un Tiers Tout-Puissant ce qui la rend en même temps dépositaire d’une idéalité sociale, un lieu de représentation d’une Vérité absolue. Mais elle doit aussi se porter garant de la possibilité de réaliser cette idéalité ici-bas, car une idéalité sociale dont on ne pourrait envisager la réalisation perdrait du même coup sa légitimité. Cela entraîne un certain nombre de conséquences quant à l’imaginaire social qui se construit autour de la position de souveraineté. On en suggérera trois : l’idéologie des élites, l’idéologie technocratique, l’idéologie des masses.

L’idéologie des élites repose sur l’idée de perfection contenue dans la position de souveraineté qui fait que celle-ci est considérée comme ne pouvant être occupée par n’importe qui. Cela ne serait pas donné à tout le monde de pouvoir assumer une telle délégation de toute-puissance. Il y faut au moins deux conditions : "être bien né", "être bien formé".

Etre "bien né", cela veut dire s’inscrire dans une filiation qui fait que chaque individu qui s’y trouve reçoit par héritage les attributs, les qualités et, pour tout dire, le pouvoir de ses prédécesseurs. Évidemment, la nature de ces attributs et de ces qualités varie selon le type de filiation. Si la filiation est d’ordre sacré, les attributs et les qualités relèveront d’une sorte de « prédestination » : on est un être élu par une puissance de l’au-delà, même si cela passe par le relais des hommes (les héritiers pour les monarques, l’élection à la fonction suprême pour l’Église —le Pape—). On reçoit donc sans partage une force divine du seul fait d’être un « héritier », et tous les actes qui seront accomplis le seront sous l’inspiration de celle-ci. L’héritier est par définition un être inspiré. Si la filiation est d’ordre social, les attributs et les qualités sont ceux qui s’attachent à une mission humaine : par le fait d’appartenir à un certain groupe social (classe, milieu, caste) dont les membres ont eu des charges importantes (nationales ou locales), on peut choisir de prendre le témoin des anciens et l’on devient ainsi un être chargé par sa propre famille de porter le flambeau plus loin. Il s’agit ici d’une autre sorte d’héritier qui reçoit — cette fois en partage— une force humaine et qui de ce fait s’engage à vivre en être de devoir. Ainsi se perpétuent les aristocraties, les castes et les notabilités de tout genre. Si la filiation est d’ordre biologique, alors ces attributs et qualités ne sont plus hérités, du moins ni religieusement ni socialement, car ils relèveraient d’un quelque chose de mystérieux qui se trouverait quelque part enfoui dans les gènes, d’une hérédité donc, mais qui serait de l’ordre de la pulsion, du désir, de la passion, du don, du talent, bref, d’un quelque chose que l’on ne saurait expliquer. Celui qui en est pourvu est alors un « hors du commun », parce qu’on ne peut l’expliquer ni par la croyance ni par la raison. Et pour cet être-là, la position de souveraineté, lorsqu’il l’occupe, ne peut être due qu’à un lui-même dont il ne connaît pas l’origine, ce qui le met dans une position ambivalente vis-à-vis de celle-ci : de responsabilité absolue car il ne doit sa puissance à personne, d’irresponsabilité dans la mesure où il ne sait pas ce qui l’a amené là où il est. Ainsi naissent ce que l’on appelle les « êtres remarquables » : les grands chefs, les grands leaders, les grandes personnalités. Évidemment, ces trois filiations peuvent se superposer : tel homme politique étant issu d’un certain milieu social, ayant en même temps une dimension personnelle hors du commun et finissant par être quasiment sacralisé, comme ce fut le cas en France du général De Gaulle.

Etre "bien formé", cela veut dire être passé par des institutions de prestige (Grandes écoles, universités de renom) et en sortir si possible parmi les mieux primés, mais aussi être passé par des postes de responsabilité prestigieux et s’y être fait remarquer pour sa technicité et son savoir-faire, toute chose qui montrerait que la personne en question allierait compétence et expérience. Car c’est précisément la compétence et l’expérience qui permet à la souveraineté de s’exercer par la raison et qu’elle est à même de pouvoir mettre en œuvre son projet de gestion du bien commun. L’idéal pour qui cherche à occuper une position de souveraineté est d’être à la fois bien né et bien formé, les deux se renforçant réciproquement [14].

L’idéologie technocratique est produite par cette même idéologie des élites. La charge de l’État et la gestion de la chose publique exige, comme pour toute entreprise, une organisation des lieux de gouvernance telle que les principes déterminés en haut lieu puissent avoir une retombée sur les administrés. Mais, à la différence de l’entreprise, l’État est entre les mains d’élites en position de souveraineté dont la finalité est le service public et non le profit. Il s’adresse et doit rendre compte à l’ensemble d’un peuple (sujets, citoyens, administrés) et non à quelques employés (quand bien même ceux-ci seraient nombreux comme dans les multinationales). Cette idéalité de l’organisation de l’État est ce qui est à l’origine d’une organisation bureaucratique, plus ou moins développée et rigide selon les États, et du même coup d’une idéologie technocratique, puisque cette gestion du bien public ne peut être conçue que comme étant le fait de spécialistes, de technocrates.

L’idéologie des masses naît dans cette double idéologie des élites et de la technocratie. C’est l’idée que les masses, au service desquelles l’État est censé œuvrer, ne peuvent tout savoir, tout connaître, et que donc elles doivent être influencées pour leur propre bien. Leur état supposé de non compétence allié à l’indétermination, voire l’hétérogénéité des opinions, les rend manipulables, et la lutte pour acquérir une position de souveraineté ou pour exercer celle-ci, deviendrait cet art de manipuler les masses dont rêve tous les politiques sans jamais oser le dire. Aucun homme/femme politique ne pourrait se prévaloir d’une telle idéologie au risque de se voir discrédité.

Évidemment, le terme de manipulation paraît trop sévère et devrait vraisemblablement être réservé aux régimes totalitaires, d’autant que l’idéologie du progrès née aux 18° et 19° siècles a confié aux États la charge de développer, via l’éducation, la connaissance civique des citoyens et leur conscience politique. D’autre part, les masses ne sont pas si amorphes que semble le suggérer cette idéologie de la manipulation. Elles sont même parfois fort actives, et les révoltes et insurrections citoyennes qu’a connues notre 20° siècle peuvent en témoigner. Il y a même eu des régimes bâtis sur l’idée contraire qui voulait que la souveraineté populaire soit elle-même le lieu de la gouvernance. Il n’empêche que cette représentation que le 19° a construite des masses laisse circuler l’idée —et la fin de certains États totalitaires à projet socialiste l’a conforté— que la souveraineté s’appuie sur des rapports non dits de dominant à dominé, de puissance des gouvernants à soumission des gouvernés, de savoir et compétence des uns à ignorance et impuissance des autres.

Le dispositif communicationnel du discours politique est donc fondé en souveraineté, ce qui explique que l’objectif de l’instance politique soit de s’y inscrire en obtenant la légitimité qui lui donnera l’autorité pour agir au nom de cette même souveraineté.

4. Les enjeux d’une analyse du discours

Si l’on veut saisir quel est l’enjeu d’une analyse du discours politique, il convient de le comparer à celui d’autres disciplines, et particulièrement à celui de la philosophie politique, de l’histoire et de la science politique.

La philosophie politique s’interroge sur les fondements de la pensée politique et les catégories qui la composent [15]. Il semble que ce qui justifie ce lieu de réflexion, ce soit une interrogation permanente sur le mode d’organisation de la société : quel est le meilleur régime de gouvernance ? et, corrélativement, qui fait quoi dans cette organisation sociétale ?. Cela conduit à penser quels types de rapport doit s’instaurer entre une puissance gouvernante —l’Etat— et le reste de la société —la citoyenneté—. C’est ici que se pose la double question de la souveraineté et de la légitimité. Du même coup, l’interrogation se porte aussi sur la justice et le droit : quelle justice suprême qui puisse traiter les hommes selon ce à quoi ils ont droit, et donc quels droits pour les hommes vivant en société au regard des forces divines ou magiques (construit par des savoirs de croyance), des forces biologiques (construit par de savoirs savants) et des forces irrationnelles de la nature (perçu par l’expérience) ? Dans l’Antiquité, c’est l’élaboration et le développement de la rhétorique qui a permis de décrire les processus complexes d’influence de l’opinion publique. Mais on a considéré plus tard que ces processus étaient valables pour une société ad hoc qui s’était donnée pour règles celles-là mêmes qu’elle appliquait. De plus la description de ces figures et autres tropes était le fait de philosophes qui tentaient de décrire une sorte d’art oratoire en relation avec une éthique politique plutôt que de se livrer à une approche scientifique.

L’histoire, comme discipline, a apporté sa méthode de traitement des archives en employant une analyse de contenu thématique. Il lui a été reproché de se centrer exclusivement sur les sources, les événements et la thématique véhiculés par les textes et de ne pas tenir compte des conditions de production de ces textes susceptibles de porter un regard critique sur ceux-ci. On se rappellera la polémique déclenchée dans le début des années quatre-vingt, en France, entre historiens et analystes du discours, les premiers reprochant aux seconds d’utiliser un marteau pour tuer une mouche, ce que M. Pêcheux relève, avec une certaine violence : « Selon la place que l’analyse du discours s’attribue par rapport à ce manque, c’est le fantasme de l’objectivité minutieuse (consistant littéralement à faire l’imbécile, en s’interdisant de penser du sens sous la textualité) » [16].

La science politique, elle, s’interroge moins sur le fondement d’un type de pensée que sur l’action politique elle-même, en relation avec ses finalités pragmatiques et ses effets. Cette discipline se trouve à un carrefour disciplinaire entre histoire, sociologie, anthropologie sociale et philosophie politique. Elle cherche à mettre en évidence les normes qui s’instaurent comme principe de gouvernance, à en déceler les raisons qui les instituent, et à en mesurer les effets sur l’état des sociétés. Ainsi sont étudiés : les comportements des acteurs politiques en fonction de leur identité et de leurs engagements ; les processus qui conduisent à des réactions et des choix face à la survenue des événements sociaux (immigration, chômage) ; le jeu de manipulation des masses qui s’accompagne de la montée des doctrines. Ces études ont en perspective l’espoir d’en tirer non seulement des leçons mais des prévisions pour l’avenir.

L’analyse du discours, en revanche, ne s’interroge ni sur le bien-fondé de la rationalité politique, ni sur les mécanismes qui produisent tel ou tel comportement politique, mais sur les discours qui rendent possibles aussi bien l’émergence d’une rationalité politique que la régulation des faits politiques. Ainsi voit-on s’articuler langage et action en ce que l’activité de langage vise à construire des jugements, des opinions, voire des appréciations, sur la vie et les comportements humains, et que l’action est tendue vers des buts qui transforment l’état des êtres, des phénomènes et des situations. Mais en même temps, ce sont ces jugements qui motivent et justifient les actions, et ces actions qui alimentent, voire interpellent, les jugements. Le discours, d’une manière générale, rend possible, justifie et transforme les rapports sociaux, et le discours politique en particulier rend possible, justifie et transforme l’action politique.

L’analyse du discours, en France, s’est développée, on le sait, sur un corpus spécifiquement politique. Des notions nouvelles comme celles d’"énonciation", de "corpus de textes" (et non plus seulement de phrases), de "contextes", de "conditions de production" ont permis aux études linguistiques de découvrir et de déterminer un nouveau champ d’analyse du langage qui ne renvoyait plus à la langue, à l’étude des systèmes de la langue, mais au discours, c’est-à-dire aux discours qui circulent dans le monde social et qui eux-mêmes témoignent de ce que sont les univers de pensée et de valeurs qui s’imposent dans un temps historique donné. Cette analyse du discours politique se réclamant du « matérialisme historique » et d’une « théorie des idéologies » telle qu’elle fut définie par Althusser [17], s’est ensuite appropriée, au terme d’un certain travail critique [18], le concept de « formation discursive » proposé par Foucault [19]. Ainsi elle a donné lieu à des travaux qui avaient pour but de révéler sous le langage des présupposés idéologiques, tout en ayant recours à des méthodes d’analyse diverses (analyse automatique, analyse distributionnelle, analyse lexicométrique) [20]. A l’heure actuelle, d’ailleurs, les études qui se développent sur le discours politique tentent de combiner plusieurs de ces méthodes : une analyse lexicométrique qui, en utilisant une méthode de traitement statistique des corpus, essaye de déterminer des univers sémantiques et des positionnements des locuteurs impliqués d’une façon ou d’une autre dans le champ politique ; une analyse énonciative qui met en évidence les comportements locutifs des acteurs de la vie politique et au-delà leur positionnement idéologique [21] ; une analyse argumentative qui tente de mettre en évidence les logiques de raisonnement qui caractérisent lesdits positionnements [22]. Parallèlement, est apparue dans les années 80 l’analyse critique du discours définie et développée par Teun A. van Dijk. Celle-ci, selon ses propres dires [23], s’inscrit dans diverses filiations : néo-marxiste d’Adorno à Habermas, de l’École de Chicago, de la sociolinguistique anglaise avec Berstein et Halliday, de l’analyse du discours française sous l’influence de Foucault et Pêcheux et de la pensée de Gramsci en Italie. Van Dijk a commencé par s’intéresser au discours raciste sous toutes ses formes, même les plus indirectes et cachées, pour ensuite tenter « d’élucider les stratégies de légitimation et de construction de la domination qui (…) s’inscrivent dans l’abus de pouvoir »á L’activité dans ce domaine a été, on le voit, très intense et a suscité de nombreuses questions qui continuent, à l’heure actuelle, à être le centre des discussions.

La question de fond pour l’analyse du discours politique est la question de savoir dans quelle mesure celle-ci est susceptible de révéler ce qu’est la réalité du pouvoir, d’un pouvoir qui est en grande partie action. La complexité des rapports entre langage et action d’une part, vérité et pouvoir d’autre part, devrait nous inciter à la prudence car il faut mettre sur pied une méthode qui permette de prendre en considération ces différents types de rapports. Certes, comme le rappelle C. Lefort, le politique est la résultante de plusieurs composantes : des faits politiques comme actes et décisions qui relèvent de l’autorité ; des faits sociaux comme organisation et structuration des relations sociales ; des faits juridiques comme lois qui régissent les conduites et les rapports des individus vivant en société ; enfin des faits moraux et psychiques comme pratiques qui révèlent des systèmes de valeur. L’analyse du discours politique touche à toutes ces composantes dans la mesure où elles y déposent des traces. Il serait naïf de penser que son objet serait le seul contenu idéologique du discours, à moins de redéfinir l’idéologie. Autant dire que ce type d’analyse est à la fois ambitieux et limité à ces traces.

Patrick Charaudeau, Centre d´Analyse du Discours, Université de Paris 13

* Cet article est un extrait d’un ouvrage en préparation sur le discours politique.

 

Notes

[1] Cet article est un extrait d’un ouvrage en préparation sur le discours politique. « Le dialogue dans un modèle de discours », Cahiers de linguistique française, 17, Genève, Université de Genève, 1995c, pp. 141-178.

[2] Cette logique n’est cependant pas complètement étrangère au langage, ne serait-ce que par le biais de l’évaluation des conséquences qui passe par des systèmes de valeurs, lesquels sont possibles grâce à l’activité du langage.

[3] "De la compétence sociale de communication aux compétences de discours", in COLLES L. et alii (éds), Didactique des langues romanes. Le développement de compétences chez l’apprenant, Louvain-la-Neuve, DeBoeck-Duculot, 2001, 34-43.

[4] On retrouve également dans cette problématique les composantes de la macrostructure des modèles de représentation que propose Van Dijk —bien que dans une perspective légèrement différente puisque la sienne est celle de la définition de modèles de textes— : les représentations praxéologiques et situationnelles (qui correspondent à notre cadre situationnel), les représentations événementielles (qui correspondent à notre organisation discursive de l’événement), les représentations axiologiques (qui correspondent à notre utilisation-manipulation des systèmes de valeurs). Voir le numéro spécial de la revue Le Français dans le Monde, Paris, Hachette, juillet 1996, consacré à Le discours : enjeux et perspectives.

[5] Il ne s’agit pas de celui de Lacan

[6] Durkheim E., Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1968.

[7] Evidemment, bien des subterfuges et des manipulations sont possibles pour obtenir cette souveraineté populaire.
[
8] En cela le commentaire se distingue évidemment du discours militant. Mais s’il partage avec les discours d’analyse et de témoignage le non engagement, il se distingue du premier par le non recours à une méthode, et du second par sa non implication sur le terrain.

[9] Il s’agit évidemment d’une idéalité du contrat médiatique qui ne vaut pas pour le cas où le média est explicitement engagé. Cela dit, cette idéalité, comme toute idéalité, n’est pas toujours tenue. Pour cette question voir notre Discours d’information médiatique. La construction du miroir social, Paris, Nathan-Ina, 1997, p.82 et sq.

[10] Discours d’information médiatique. La construction du miroir social, op.cit.

[11] Discours d’information médiatique. La construction du miroir social, op.cit.

[12] Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961.

[13] Voir la description que Platon fait d’une telle idéalité dans La République, Paris, Garnier-Frères, 1966.
[
14] C’est ainsi que jusqu’à la moitié du 20°siècle, les grandes familles léguaient un de leur fils à l’Armée et un autre à l’Église.

[15] A. Badiou va même jusqu’à dire que « Tout le problème est de penser la pensée comme pensée et non comme objet ; ou encore de penser ce qui est pensé dans la pensée, et non "ce que" (l’objet) la pensée pense », Abrégé de métapolitique, Paris, Seuil, 1998, p.36.

[16] Voir Maldidier D., (éd.), L’inquiétude du discours.Textes de Michel Pêcheux, choisis et présentés par D. Maldidier, Paris, Editions des Cendres, 1990.

[17] "Idéologie et Appareils d’État", revue La Pensée n°151, Éditions sociales, Paris, 1970.

[18] Voir Pêcheux M., "Remontons de Foucault à Spinoza (1977)", in Maldidier (éd.) L’inquiétude du discours, op. cit.

[19] L’Archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969.

[20] Pour les travaux concernant cette période, voir surtout L’inquiétude du discours, op.cit., et L’Analyse du discours politique par J.J. Courtine, revue Langages n°62, Larousse Paris, 1981.

[21] Voir, entre autres, Authier-Revuz J, "Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive : éléments pour une approche de l’autre dans le discours", DRLAV n°26, 1982, pp.91-151

[22] Voir S. Bonnafous in revue Langages n°117, Larousse, Paris 1995. Voir aussi une brève récapitulation faite par C. Le Bart dans Le discours politique, Que sais-je ? n°3397, PUF, Paris, 1998.

[23] "Discurso, Poder y Cognición Social", Cuadernos n°2, Universidad del Valle, Colombia, 1994.

Pour citer cet article

Patrick Charaudeau, "A quoi sert d’analyse le discours politique * ?", in Análisi del discurs polític, IULA-UPF, Barcelone, 2002, consulté le 29 février 2020 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.

 

URL: http://www.patrick-charaudeau.com/A-quoi-sert-d-analyse-le-discours.html

 

 

Module : Relations UNION EUROPEENNE- MAGHREB         Dr Bedjaoui Mériem MCA/HDR

E mail : bedjaoui22@hotmail.com

Doctorat : Etudes maghrébines   S2

Préambule

 

TEXTE 1

                                             Le Maghreb Arabe

 

La dimension géopolitique du terme et ses représentations amènent, elles, une approche différente du terme. Ainsi, le terme « Maghreb », en désignant le territoire composé de l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, est entendu dans une « acception restreinte »5, voire une « acception française », selon la géographe Karine Bennafla. Celle-ci relève par ailleurs, comme d'autres auteurs, que son usage est le fait des nationalistes arabes dans le but de promouvoir cet ensemble géographique, alors que les « autorités coloniales parlaient [elles] d'Afrique du Nord » pour le désigner. On trouve aussi d'autres usages au cours de la période coloniale, avec « Afrique septentrionale, Berbérie », ce qui permettait de distinguer cet ensemble du monde arabo-musulman, pour mieux l'assimiler. Cet usage se fait à partir de 1956, dans le contexte de la crise de Suez.

L'usage de l'épithète « arabe » dans le syntagme « Maghreb arabe » n'est attesté, selon Rabah Kahlouche de l'université de Tizi-Ouzou, qu'à partir de la fin des années 1940, et dans quelques rares écrits : ainsi en 1947, au Caire, est fondé notamment le « Comité de Libération du Maghreb Arabe », à partir de sept partis nationalistes originaires des trois pays d'Afrique du Nord. Il réapparaît de manière plus affirmée en 1989, avec la création de l'organisation régionale Union du Maghreb arabe (UMA), qui réunit les trois pays de l'Afrique du Nord — Maroc, Tunisie, Algérie — ainsi que la Libye et la Mauritanie. Rabah Kahlouche parle ainsi de redondance dans l'emploi de ce terme, et l'analyse comme un « besoin de réaffirmer et d'insister sur l'identité arabe du nord de l'Afrique [...] chez les dirigeants maghrébins ». Cette insistance pourrait ainsi être ainsi comme une réponse à l'ancienne qualification coloniale, mais aussi au régionalisme berbère.

Références bibliographiques

Abdallah Saaf (1985)  L'idée de l'unité arabe dans le discours politique maghrébin, Annuaire de l'Afrique du Nord, vol. XXIV.

Rabah Kahlouche (1997)  Contenu implicite de l'épithète "arabe" dans "Union du monde arabe" , Mediterranean peoples - Peuples Méditerranéens, no 79.

Karine Bennafla (2008)  Mise en place et dépassement des frontières entre Maghreb et Afrique noire : approche géo-historique, Cultures Sud, no 169.

Karine Bennafla, Delphine Pagès-El Karoui, Olivier Sanmartin (2007) Géopolitique du Maghreb et du Moyen-Orient.Sedès-Impulsion.

 

En l’absence de débat et d’intervention collaborative, je poursuis par d’autres textes consacrés, toujours à la relation Maghreb-Europe et à tous les accords qui lient ces deux entités. Les textes choisis sont des réflexions émises par des auteurs aussi bien maghrébins qu’européens. Aux doctorants d’aiguiser leur curiosité pour en repérer, d’abord l’objectivité des auteurs, mais aussi et surtout, de déceler les aspects positifs, s’il en existe, et les aspects qu’ils considèreront comme plutôt négatifs. L’important est qu’ils donnent leur point de vue argumenté et conforté par des exemples concrets.

…………………………………………………………………………………………………

 Le texte qui suit présente une rétrospective détaillée de l’ensemble des relations euromaghrébines.

TEXTE 2

INTERNATIONAL

RELATIONS EUROPE-MAGHREB : QUEL AVENIR ?

02/05/2019 

 Smaïl Goumeziane 

 

Dans le contexte des changements passés et en cours au Maghreb et au-delà (Algérie, Libye, Tunisie), l’ancien ministre Smaïl Goumeziane rappelle, pour l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation, l’évolution historique des relations entre l’Europe et le Maghreb de ces cinquante dernières années, établit un bilan pour le moins contrasté et négatif de cette coopération, et ses conséquences, mais s’interroge également sur les perspectives de ces relations.

Le partenariat entre l’Europe et le Maghreb a cinquante ans d’existence. Dès l’origine, il avait pour ambition de construire, en Méditerranée, un espace de paix et de progrès partagé. Au bout d’un demi-siècle, cet objectif a-t-il été atteint ? Pour le savoir, retour sur les principales étapes du partenariat euromaghrébin.

I - L’ÉVOLUTION DU PARTENARIAT EUROMAGHRÉBIN

Les relations euromaghrébines[1] stricto sensu sont passées par plusieurs étapes.  

Les premiers accords d’association

Le premier accord commercial fut signé avec le Maroc en mars 1969, suivi au cours des années 1970 par des accords avec les autres pays du Maghreb. Au cours de cette période, trois pays maghrébins (Mauritanie, Maroc et Tunisie) avaient rejoint l’OMC (Organisation mondiale du commerce), alors que les deux autres pays (Algérie et Libye) ne sont, à ce jour, que des observateurs.

Ces premiers accords ont été marqués par le protectionnisme (préférence communautaire) de la Politique agricole commune (PAC) et une gestion restrictive des protocoles financiers (faibles montants, complexité des procédures d’accès, faible capacité d’absorption). Cela a rapidement suscité des frictions entre les partenaires. 

Barcelone et Euromed

Au début des années 1990, la chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’URSS créent une situation nouvelle. Les ex-pays socialistes d’Europe centrale et orientale (PECO) multiplient les demandes d’adhésion à l’Union. Dans ce cadre, ceux-ci vont engager de véritables transitions économiques et politiques d’un système socialiste autoritaire vers un système de marché démocratique. Face à cette nouvelle concurrence, les pays du sud et de l’est méditerranéens (PSEM) se mobilisent pour exiger une relance de la coopération euro-méditerranéenne.

Le partenariat euro-méditerranéen (Euromed) est approuvé par la Commission européenne, à Barcelone, en novembre 1995. Il inclut une coopération économique (appui aux réformes et désarmement douanier), élargie aux nouveaux domaines de compétence de l’Union européenne (environnement, transports, coopération transfrontalière) et un dialogue politique. Il a par ailleurs donné lieu à plusieurs accords d’association (ou de libre-échange) de l’Union européenne avec chacun des pays, notamment avec la Tunisie (1995), le Maroc (1996) et plus tard l’Algérie (2005). Le fonctionnement du partenariat repose sur un cadre institutionnel complexe dans lequel cohabitent deux dispositifs : bilatéral – matérialisé par la conclusion d’accords d’association – et multilatéral.

Dans ce cadre, quelques progrès ont été réalisés, en matière de transport et d’environnement. Cependant, la logique commerciale et sécuritaire, souvent bilatérale (d’État à État), ayant prévalu, les résultats furent loin de répondre aux attentes des pays concernés. D’autant que le dialogue politique ne s’est jamais instauré – les partenaires européens se contentant au mieux de fermer les yeux sur l’évolution politique des PSEM et au pire d’y soutenir, pour des raisons économiques et de stabilité, les régimes autoritaires en place.  

La politique européenne de voisinage (PEV)

À la fin de 2002, l’adhésion de 10 pays candidats à l’Union (8 ex-pays socialistes, Malte et Chypre) est finalisée. Aussitôt, le problème des relations à développer avec ceux qui n’ont pas vocation, au moins à court terme, à rejoindre l’Union se pose. Face aux pressions, l’Union finit par proposer à ces pays (6 ex-républiques soviétiques et 10 PSEM) une nouvelle politique européenne dite de voisinage (PEV) qui vise à soutenir et à favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans les pays les plus proches de ses frontières. Mais avec trois restrictions essentielles : aucune perspective d’adhésion ; aucune liberté de circulation des personnes ; un volume d’aides financières très inférieur à celui offert aux pays candidats à l’adhésion. 

L’Union pour la Méditerranée (UPM)[2]

 

Afin d’accompagner la PEV en direction de la Méditerranée, à défaut d’une grande communauté méditerranéenne, une Union pour la Méditerranée (UPM) est mise en œuvre à compter du 13 juillet 2008, suite à une initiative du président français d’alors (Nicolas Sarkozy), recadrée par l’Union européenne (notamment par l’Allemagne). L’UPM développe une approche globale, pacifique et à dominante économique au niveau de toute l’Europe et de toute la région sud et est méditerranéenne. Fondée sur le dialogue entre les États membres (28 pays de l’UE et 15 PSEM), l’UPM privilégie « l’approche projets » de dimension régionale et favorise les partenariats entre pays membres. Dans la configuration actuelle de l’UPM, le Maghreb occupe une place relativement marginale parmi les 16 pays éligibles à la politique de voisinage (PEV).

L’UPM, focalisée sur « l’approche projets », reste cependant, elle aussi, fondée sur la logique réductrice de « l’Europe des marchés et de la sécurité », contrairement à ce qui s’est fait avec les pays de l’Est, pour lesquels la logique de la transition économique et politique, plutôt pacifique, s’est imposée.

Pour autant, il faut noter qu’une telle approche se démarque sur bien des aspects du projet américain du « Grand Moyen-Orient » (de la Turquie jusqu’au Maroc, et plus largement de l’Afghanistan jusqu’en Mauritanie), promu dès 2004 par le président Bush, visant à l’exportation de la démocratie dans toute la région, fut-ce par recours à la violence. On connaît les résultats de ce « remodelage » du Moyen-Orient que cette stratégie américaine a tenté d’imposer en Irak, en Syrie, en Égypte, en Libye… 

II - NI PAIX, NI PROGRÈS PARTAGÉ

Dès lors, et malgré l’UPM, le partenariat euromaghrébin n’a pas connu le succès escompté. Globalement, lorsqu’on fait le bilan de ce partenariat, on en tire, peu ou prou, les premiers enseignements suivants.

Au Maghreb comme ailleurs, la PEV a tout juste débouché sur une diversification de la coopération. Elle n’a pas entraîné de modification en profondeur des relations économiques (faible progression du libre-échange et refus de l’ouverture du marché à des produits dits « sensibles ») ni de forte croissance des flux budgétaires et financiers. Il n’y a pas eu d’afflux de capitaux européens, comme cela a été le cas dans les pays candidats d’Europe centrale, et l’aide publique européenne, verrouillée par le cadre budgétaire pluriannuel, n’a pas connu d’augmentation significative de ses montants. Résultat : au niveau économique, les effets attendus de l’ouverture des marchés et de la libéralisation n’ont pas été au rendez-vous. Ni en termes d’emploi, ni en termes de croissance, encore moins de développement.

De plus, malgré l’affichage de timides réformes, la bonne gouvernance n’est toujours pas la règle au Maghreb. Les pénuries, la spéculation et la corruption ont continué d’obscurcir l’espace économique maghrébin. Les phénomènes de prédation qu’on croyait liés aux seuls secteurs publics, aux grands contrats et à leurs clientèles nationales et internationales, se sont « démocratisés », continuant de profiter de l’absence ou de l’insuffisance de l’État de droit dans la région.  

Sur les questions migratoires, du fait de la situation centrale du Maghreb en termes de flux (zone de transit entre l’Afrique et l’Europe) et de l’irruption du terrorisme, la gestion de la PEV, plutôt restrictive et soumise à la logique sécuritaire, a tourné au marchandage : l’UE a, par exemple, accepté de libéraliser le régime de visas en échange d’accords de réadmission des immigrants illégaux.

Enfin, en l’absence de réelles perspectives démocratiques, sur lesquelles elle n’a guère influé, l’Europe a continué de coopérer avec les régimes autoritaires, même si, parfois, une violation flagrante des droits de l’homme a conduit de façon provisoire à un refroidissement temporaire des relations.  

Dans ces conditions, les relations entre le Maghreb et l’Europe ont continué d’être dominées par les relations bilatérales, souvent traditionnelles, et parfois opaques, d’État à État. Mais, au-delà de ces premiers enseignements, lorsqu’on examine la situation de plus près, l’état des lieux met au jour des déséquilibres plus structurels et des fractures beaucoup plus significatives entre les deux rives de la Méditerranée.

Une Europe s’ouvrant à l’Est et se fermant au Sud

Depuis l’instauration de la monnaie unique, la chute du Mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et l’élargissement à l’Est, l’Europe économique et politique s’est rapidement élargie à 28 pays membres. Grâce à cela, l’Europe, libérale et démocratique, est devenue une grande puissance économique : l’UE représente 22 % du PIB mondial contre 27 % pour les États-Unis.  

Face à cette dynamique à l’Est, l’ouverture de l’Europe sur le Maghreb est restée plus que prudente. Le Maghreb ne représente qu’une faible fraction des échanges de l’Union européenne (3,6 %), ce qui le situe au niveau de la Turquie (3,8 %) et de la Norvège (4 %). Pis, les exportations de l’Europe vers le Maghreb ne représentent que 2 % de ses exportations totales quand, à l’inverse, les échanges du Maghreb avec l’Europe représentent près de 65 % de ses échanges. Malgré la percée chinoise, l’Europe est toujours le premier partenaire commercial d’un Maghreb peuplé de 100 millions d’âmes, et l’espace maghrébin constitue sa première zone d’excédent commercial.

Il faut aussi noter la faiblesse des investissements de l’Europe au Maghreb. Ceux-ci représentent moins de 2 % des investissements de l’Union dans le monde. De même, la coopération financière de l’Europe est plutôt maigre. À titre d’exemple, les flux financiers, prévus entre 1995 et 1999 pour toute la région sud-méditerranéenne, ont été de cinq milliards de dollars ou encore un milliard de dollars par an, c’est-à-dire en moyenne 90 millions de dollars par pays[3].  

Cette frilosité de l’Europe en matière d’investissements et de capitaux se double depuis plusieurs années maintenant d’une politique très restrictive en termes de flux migratoires en provenance du Maghreb.  

Un Maghreb éclaté, conflictuel et sans libertés réelles

Face à cette Europe démocratique, puissante, unie, pacifiée, orientée vers l’Est et frileuse à l’égard de son flanc sud, le Maghreb apparaît d’autant plus fragile que celui-ci, depuis les indépendances, est composé d’États sans grandes relations entre eux. Atomisé, marqué par l’exiguïté des marchés nationaux et bien que largement ouvert sur l’extérieur (à plus de 35 %, en moyenne), le Maghreb s’est complu dans les règles de fonctionnement autoritaires et administrées, agissant le plus souvent en ordre dispersé, et au coup par coup, sur la scène économique mondiale et européenne, les yeux fixés sur le Nord. Résultat, les objectifs maintes fois réitérés de construction d’une union douanière, d’un marché maghrébin, puis d’un véritable ensemble maghrébin n’ont pas été atteints.  

Sans cohésion, ayant raté toutes ses tentatives d’unification, le Maghreb n’a toujours pas réalisé cet espoir que la création de l’UMA (Union du Maghreb arabe) en 1989 laissait entrevoir aux populations des cinq pays. Après plusieurs décennies d’indépendances, les pays du Maghreb, malgré de nombreux atouts, restent marqués par toutes sortes de rivalités attisées à la fois par la politique du « diviser pour mieux régner » mise en œuvre par les pays du Nord, par le conflit au Sahara Occidental (depuis 1975) et par l’émergence brutale de l’islamisme politique et du terrorisme dans toute la région.

Pour ces raisons, mais aussi à cause du mal-développement qu’ont connu ces pays et des programmes d’ajustement structurel qui leur ont été imposés, les populations du Maghreb ont subi toutes sortes de violences. En Algérie, le pays le plus frappé par ces vagues de violences, la radicalisation a conduit, tout au long des années 1990, à un affrontement brutal entre des groupes islamistes armés plus ou moins bien identifiés et un pouvoir autoritaire symbole du refus de toute transition démocratique et pacifique. Les révoltes et les conflits se sont étendus à toute la rive sud méditerranéenne avec l’éclosion des « printemps arabes » provoquant à la fois des révoltes contre les pouvoirs autoritaires en place (Tunisie, Égypte, Libye, Syrie…), et l’expansion brutale du terrorisme islamiste, notamment après l’irruption de Daech en Irak et en Syrie. Ces conflits, pour la seule Syrie, ont fait plus de 450 000 morts, des millions de disparus, de déplacés et de réfugiés.

Dans ces conditions, autant dire que la question des libertés a souvent pris le pas sur les revendications économiques immédiates, pour devenir centrale dans tous les pays du Maghreb. C’est pourquoi les fractures entre les deux rives de la Méditerranée ne cessent de s’approfondir.

L’exploitation des ressources énergétiques

La région méditerranéenne est à la fois une grande région consommatrice d’énergie, notamment fossile, une grande région de production d’hydrocarbures, voisine du Moyen-Orient et de la Mer Caspienne, et une région essentielle du transport de cette énergie (navires, oléoducs et gazoducs terrestres et sous-marins). Aussi, la Méditerranée est la principale, la plus féroce et la plus violente zone de compétition énergétique au monde.

Dans ces conditions, la fracture énergétique entre la rive nord et la rive sud est énorme. Au niveau mondial, les besoins énergétiques sont satisfaits à plus des deux tiers par le pétrole (40 %) et le gaz (25 %). Or, toute la production méditerranéenne de pétrole est le fait de la rive sud, à l’exception d’une production marginale de l’Italie. Cette production équivaut environ à un quart de la production des pays du Moyen-Orient.

En termes de balance énergétique (production-consommation), la fracture est encore plus significative : les pays déficitaires sont tous dans la rive sud (exceptés le Maroc, la Turquie et Israël). Le déficit, particulièrement élevé pour la France, l’Italie et l’Espagne, est satisfait par les importations. L’importance de cette énergie pétrolière et gazière est telle que la vente mondiale annuelle de produits pétroliers, évaluée en moyenne à 3 000 milliards de dollars dans les années 2000, crée un surplus financier (hors frais de production, de transport, stockage et distribution) de l’ordre de 2 200 milliards de dollars dont les deux tiers sont prélevés par… les pays du nord, notamment en Union européenne.

Cette fracture entraîne un triple déséquilibre : les pays consommateurs du nord dépendent pour leurs approvisionnements des pays producteurs du sud, mais ils perçoivent l’essentiel des surplus pétroliers ; les pays producteurs du sud dépendent pour leur développement des recettes tirées des exportations énergétiques ; enfin, les pays non producteurs du sud supportent à la fois une lourde facture énergétique (7 % du PIB pour le Maroc) et un déficit commercial chronique.

On comprend aisément la position géostratégique de la Méditerranée, sur fond de rivalités aiguës, de jeux diplomatiques plus ou moins visibles, allant de négociations secrètes et autres marchandages jusqu’à la mise en œuvre directe ou indirecte de la politique de la canonnière, en réponse ou en prélude à des actions terroristes ou aux conflits qui se déroulent dans la région. Pour ces raisons, l’énergie tirée des hydrocarbures n’a de réel impact que sur les grands pays consommateurs du nord. Ainsi, les pays qui consomment le plus d’hydrocarbures (France, Italie, Espagne) réalisent à eux trois près de 80 % du PIB de toute la zone méditerranéenne, quand les quatre pays producteurs du sud (Algérie, Libye, Egypte et Syrie) représentent moins de 5 % du PIB méditerranéen.

Les inégalités économiques et sociales

Entre les deux rives, l’écart de richesse ne cesse de s’élargir. En 2018, le PIB de la seule Belgique (529 milliards de dollars) est largement supérieur à celui du Maghreb (380 milliards de dollars). Depuis de nombreuses années, en termes de revenu par tête d’habitant, le fossé entre les deux rives continue de se creuser. Ainsi, comparé au PIB/h/PPA (PIB par habitant à parité du pouvoir d’achat) de la France, l’écart qui était, en 1990, respectivement de 10 950 dollars (Algérie), de 13 937 dollars (Tunisie) et de 15 038 dollars (Maroc) passe, en 2017, toujours respectivement, à 27 504 dollars, 30 368 dollars et 34 562 dollars. Ce faisant, par rapport à 1990, l’écart moyen du PIB/h/PPA en 2017 a presque triplé !

Cette « dérive économique des continents » montre combien la thèse de la convergence, sous-jacente au processus de libre-échange, est contredite par la réalité. Une telle évolution conduit partout à la persistance de la pauvreté.  

À l’intérieur de l’Union européenne, la persistance du chômage, la précarisation et l’exclusion de franges de plus en plus larges des populations, y compris celles qui sont au travail, sont sources d’inquiétudes. Déjà en 2011, selon Eurostat, 84 millions de personnes, soit 16,9 % des Européens, vivaient sous le seuil de pauvreté. La pauvreté, la violence et l’insécurité se développent particulièrement dans les zones les plus fragiles des villes et des campagnes, conduisant à une marginalisation de plus en plus forte des populations les plus démunies, parmi elles les « travailleurs pauvres » – une des raisons de l’irruption et de la persistance, en France, du mouvement contestataire des « Gilets jaunes ».

Au Maghreb, les inégalités n’en sont pas moins larges. Les écarts de richesses entre pays maghrébins sont aussi importants qu’entre l’Europe et le Maghreb, soit des PIB globaux allant de 1 à 37 et des PIB/h/PPA allant de 1 à 5. Ainsi, en 2017, la Mauritanie dispose d’un revenu moyen (PPA) par habitant de 3 598 $, le Maroc de 8 217 $, l’Algérie de 15 275 $, la Tunisie de 11 911 $ et la Libye de 17 882 $. Malgré cela, dans tout le Maghreb, la pauvreté atteint des niveaux insoupçonnés. Le chômage y touche près de 16 % de la population active en Libye, 15,3 % en Tunisie, 12 % (25 % chez les jeunes) en Algérie et 9,3 % au Maroc.

D’autres fractures dans la région sud-méditerranéenne, bien qu’extérieures au Maghreb, viennent compliquer cette situation. Le « vieux » conflit colonial israélo-palestinien, avec son cortège de drames et de douleurs, est aggravé par le déséquilibre économique qui s’est créé entre Israël et ses voisins. Celui-ci dispose d’un PIB/PPA par habitant 5 fois supérieur à celui du Maroc, et 8 fois supérieur à celui de la Palestine ! Pis, en 2017, le PIB global des 7 millions d’Israéliens, soit 350 milliards de dollars, équivaut à celui des 100 millions de Maghrébins, et à une fois et demi celui des 100 millions d’Égyptiens !  

Enfin, la situation qui prévaut au Moyen-Orient (Irak-Syrie), suite aux « printemps arabes », continue également d’irriter les populations maghrébines. Celles-ci ne comprennent pas qu’un conflit, faisant des millions de victimes parmi les populations civiles et les enfants, s’achève par le maintien en place des pouvoirs autoritaires dans toute la région (à l’exception de la Tunisie) avec une certaine bénédiction de l’Europe, ou à tout le moins une certaine indifférence.  

Le stress hydrique

Les conditions climatiques qui prévalent dans la rive sud et leur gestion sont à l’origine d’une fracture parfois sous-estimée, quand elle n’est pas ignorée : la fracture hydrique. Le bassin méditerranéen est un « hot spot » du changement climatique : d’ici à 2100, les températures devraient y augmenter de 4°C et la pluviométrie y baisser de 20 %. Bien évidemment, chaque pays met en place des solutions nationales, mais l’eau ne connaît pas de frontières. Elle voyage. Aussi, l’un des enjeux est une pleine et entière interaction entre les pays durement frappés par cette raréfaction de l’eau.

Dès le milieu des années 1990, un rapport de la Banque mondiale signalait que le volume d’eau disponible par habitant au Maghreb (et au Moyen-Orient) était tombé de 3 300 mètres cubes en 1960, à 1 250 en 1996 et que, à ce rythme, on serait à 650 mètres cubes en 2025. Et de prévoir qu’à cet horizon, ce seront plus de 200 millions d’habitants qui n’auront pas accès à l’eau potable dans la rive sud-méditerranéenne.  

D’autant qu’en matière hydraulique, comme dans bien des domaines, les politiques maghrébines ne sont pas davantage coordonnées. Les Marocains ont plutôt investi dans la petite et moyenne hydraulique, les Algériens dans une politique de grands barrages, et les Libyens dans d’énormes forages dans l’immense nappe albienne qui traverse le sous-sol du Sahara.  

Ce stress hydrique chronique, dont les experts estiment qu’il sera encore plus intense dans les années à venir, fait resurgir des maladies et des épidémies (choléra, diphtérie, etc.) qu’on croyait avoir vaincues. Malgré cela, la prise de conscience du stress hydrique, comme celle du réchauffement climatique, reste bien en deçà des exigences. Or, si l’on n’y prend garde, cette situation peut conduire, au-delà des conséquences immédiates et visibles, à une véritable guerre de l’eau, comme on en perçoit déjà les signes précurseurs au Moyen-Orient (Golan, Jourdain, Gaza), qui sonnerait le glas de la stabilité dans toute la région.  

Les pays du Sud, accélérateurs de la mondialisation

Ces fractures montrent l’échec du partenariat euromaghrébin dans son ambition de faire de la région méditerranéenne une zone de paix et de prospérité partagée. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, mais aussi parce qu’il s’est inscrit dans le cadre plus général d’un bouleversement planétaire qui ne l’a guère épargné – la mondialisation –, le partenariat n’a eu que peu de marges de manœuvre pour mener la région méditerranéenne à bon port. En effet, avec la mondialisation triomphante, on assiste à une domination sans partage de la régulation par les marchés qui entraîne, partout, un recul de la régulation publique et la marginalisation de la régulation citoyenne[4].

Avec d’autant plus d’acuité que les pays du sud et de l’est méditerranéens ont servi, en quelque sorte, d’accélérateur du mouvement. S’inscrivant dans la nouvelle division internationale du travail, ils sont restés cantonnés dans leur rôle de fournisseurs de matières premières à bon marché, de bassins d’emploi à faible coût du travail, d’espaces à forte rentabilité des investissements productifs et financiers, de marchés ouverts aux quatre vents. Un rôle assumé « bon gré, mal gré » par les différents États à travers les plans d’ajustement, les programmes de coopération et les instruments financiers qui leur sont plus ou moins imposés. Sous condition d’assurer, quel qu’en soit le prix économique, social et politique, la stabilité nécessaire au déploiement durable des stratégies des transnationales. On comprend mieux le choix de soutenir les régimes autoritaires au détriment aussi bien de toute aventure extrémiste (islamisme radical) que d’un réel appui aux sociétés civiles et à leur désir de liberté.  

Résultat, en termes politiques et géostratégiques, on assiste à un triple processus. D’abord, au recul de la démocratie (nationale et locale) et à une brutale montée des nationalismes, des populismes, des autoritarismes et des mouvements identitaires, qui se nourrissent de l’aggravation des inégalités pour favoriser le repli sur soi, les haines sociales et les tensions intercommunautaires. Ensuite, à l’absence de pouvoir politique national et supranational (notamment en Europe) en mesure d’accompagner et de réguler la mondialisation économique, particulièrement en termes sociaux et environnementaux. Enfin, l’heureuse disparition de la guerre froide, loin de signifier la fin des affrontements, se poursuit, sur fond de rivalités énergétiques, par l’expansion du marché de l’armement et la montée des conflits (guerres, terrorisme) partout dans le monde, avec un épicentre dans le monde musulman .

Tout cela se traduit, in fine, par une fracture politique fondamentale : celle qui empêche les pays du sud de la Méditerranée d’entrer dans une véritable transition démocratique.

 

III - RELATIONS EUROPE-MAGHREB : QUELLES PERSPECTIVES ?

Au vu de tous ces résultats, pour le moins inquiétants, faut-il mettre un terme au partenariat euromaghrébin ? Pas si sûr. Car, malgré tout, il reste deux certitudes : l’avenir de l’Europe et du Maghreb, et au-delà de l’ensemble méditerranéen, sera démocratique ou ne sera pas ; il sera collectif ou ne sera pas. Dès lors, il n’y a guère d’autre choix que de donner sa chance à un partenariat euromaghrébin totalement renouvelé : dans ses principes, ses objectifs et ses moyens. En effet, si la région méditerranéenne doit devenir une zone de paix et de prospérité partagée, à l’évidence, le marché et la stabilité n’en sont pas les véritables ressorts. Pour faire advenir une telle ambition, il faut que toute la région engage et réussisse une transition économique et politique démocratique.

En s’inspirant des transitions déjà réalisées, avec plus ou moins de succès, par plusieurs pays de l’est (PSEM), la démarche pourrait se référer à quelques principes essentiels. 

La dialectique de la liberté économique et de la liberté politique

Les régimes autoritaires du sud ont, depuis longtemps, montré leur incapacité « congénitale » à mener de telles transitions. Le couplage plus ou moins fort entre l’autoritarisme politique et des systèmes économiques, apparemment libres, mais davantage soumis à une logique rentière et de spéculation – quand elle n’est pas tout simplement informelle –, n’ont guère favorisé la croissance et le développement. En ce sens, la liberté de circulation des biens et services, à la base du partenariat euromaghrébin, ne sert à rien si elle ne favorise pas, dans un cadre formel et de juste concurrence, la production de richesses et leur juste répartition, dans les pays concernés. L’évolution des PIB au Maghreb, ou celle des indices de développement humain (IDH), sont aujourd’hui encore la traduction chiffrée des limites politiques du partenariat engagé depuis des décennies. Or, pendant la même période, dans d’autres régions du monde, notamment en Asie, des pays aussi pauvres que ceux du Maghreb au début des années 1960 ont suivi d’autres stratégies et engagé d’autres partenariats avec des résultats élogieux : ils caracolent désormais en tête des classements internationaux (Corée du sud) tout en s’écartant, progressivement, de l’autoritarisme politique. Aussi, à la lumière de ces « réussites », dans le cadre d’un partenariat rénové, des mécanismes devraient être identifiés et mis en œuvre progressivement de sorte à rendre « consubstantielles » liberté économique et liberté politique. On l’aura compris, ce à quoi les Maghrébins aspirent, c’est à un espace méditerranéen de liberté et d’échanges et non à une simple zone de libre-échange.  

Construire un système de régulation démocratique

Depuis la chute du mur de Berlin et la reprise en mains de l’ex-Tiers monde et des pays de l’est par le biais de l’endettement et de l’ajustement structurel, on l’a vu, une seule issue est proposée pour sortir du mal-développement ou entrer « en transition » : l’économie de marché et la régulation par le marché. C’est un credo universel qui parcourt, depuis trente ans, par vagues successives et comme une onde de choc, tout ce que la planète connaît de pays anciennement et nouvellement pauvres. Dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples pour tous ces candidats à un nouveau développement, car le recul de la régulation publique, on l’a vu, a creusé les inégalités sociales et territoriales, multiplié les injustices de toutes natures et fait vaciller la démocratie. Il est donc urgent de trouver de nouveaux ressorts pour construire collectivement un nouveau système de régulation.  

Au nord et au sud de la Méditerranée, l’économie moderne à laquelle doivent aspirer tous les pays est une économie où la liberté d’entreprendre est reconnue, et où la production et la consommation sont orga­nisées par la loi, sur la base du droit économique, social et environnemental, et du contrat librement consenti. La sanction économique doit y être assu­rée, en toute transparence, sur un marché sans contrainte. Mais, c’est aussi une économie où les revenus distribués, résultat d’une activité productive réelle, sont licites et principalement constitués de salaires et de profits et non de rentes et autres revenus de la spéculation ou de la corruption.

Par ailleurs, au côté du marché, l’État, loin de se désengager, comme c’est le cas avec la mondialisation libérale, doit au contraire jouer pleinement son rôle régulateur. Un rôle essentiel pour lever les contraintes au libre jeu des acteurs productifs sur le marché (lutte contre les rentes et les monopoles) :

  • pour protéger les entreprises soumises à une concurrence déloyale (dumping économique ou social, pratiques informelles) ;
  • pour améliorer leur compétitivité (incitations fis­cales et lutte contre le dumping fiscal, aides à la modernisation et à l’innovation, travaux d’infrastructures, adaptation des droits de douane, etc.)
  • pour contrôler des activités stratégiques (défense, sécurité, énergie, haute technologie) ;
  • et pour assurer la juste redistribution des richesses produites et la régulation sociale et environnementale (transition énergétique et écologique, justice sociale et solidarité nationale).

Pour autant, on le sait, l’État pos­sède ses propres faiblesses, particulièrement au Maghreb, notamment en termes d’organisation et de ressources. Il est donc indispensable de le restaurer et de conjuguer son action avec celle de la société civile, dont les pratiques politiques, économiques, sociales et environnementales solidaires, les potentialités régulatrices et la volonté de participer de façon directe et responsable, sont insoupçon­nées. Pour cela, l’État restauré doit favoriser l’émergence de la société civile, son expression libre, le dialogue avec ses organisations représentatives et ses élites, dans leur diversité, et engager, sans arrières pensées, les négociations qui s’imposent afin de conclure les compromis, y compris institutionnels, qui consacrent l’avancée des libertés démocratiques.

Ainsi comprise, une telle vision de l’économie (et au-delà, de la société tout entière) à triple régulation (marché-État-citoyens) est beaucoup plus enthousiasmante et se démarque des trois principales utopies régulationnistes des XIXe et XXe siècles : le rêve communiste d’une société régulée sans aucune action du marché ; le mythe ultra-libéral d’une société régulée par le seul marché, notamment financier, sans aucune intervention de l’État ; le fantasme plus récent d’une régulation hybride combinant l’autoritarisme politique, un ersatz de marché libre et une économie informelle florissante dans les pays pauvres. En fait, aujourd’hui plus que jamais, l’économie moderne dans les pays du sud, dont le Maghreb, comme dans les pays « riches », n’a d’avenir que dans une société soumise à un système de régulation qui combine, librement et pacifiquement, les forces du marché, les institutions démocratiques de l’État et les pratiques solidaires des citoyens. Une société libre où chacune des économies et des régulations occuperaient, dans la concurrence ou la coopération, l’espace nécessaire à la poursuite d’un développement humain et solidaire.

Favoriser la transition économique au Sud

Dès lors, au-delà des libertés relatives à la circulation des biens, des services et des capitaux sous-jacentes au partenariat euromaghrébin, il faudrait désormais s’atteler à promouvoir, par divers moyens juridiques, organisationnels et financiers, une véritable transition[5] économique des systèmes actuels, dominés par l’inefficacité, la bureaucratie, la spéculation, le clientélisme et les rentes de toutes natures, vers des systèmes productifs libres et et démocratiques. En lieu et place de simples programmes et mesures de soutien à de supposées réformes, qui tardent à se mettre en place et qui n’arrivent jamais à enclencher un véritable développement.

En rupture progressive avec les « modèles » économiques rentiers mis en œuvre au Maghreb, le système productif démocratique favoriserait en premier lieu l’émergence d’un nouveau modèle énergétique (production et consommation) dans tout le bassin méditerranéen, qui mettrait à l’honneur les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.), leurs projets et leurs modes de coopération.  

Bien entendu, une telle transition ferait la part belle aux entreprises privées et publiques, locales et étrangères, qui s’engageraient, seules ou en partenariat, dans cet objectif avec le souci de l’efficacité, de la rentabilité et de la compétitivité, afin d’élargir les sources de richesses (économie numérique, environnementale, etc.) de création d’emplois, d’équilibre des territoires et de respect de l’environnement, à l’échelle locale, nationale ou régionale. C’est là une occasion concrète de transformer les comportements rentiers en comportements productifs.  

Une telle transition bouleverserait la logique commerciale et sécuritaire actuelle, dont on a vu qu’elle était asymétrique et source de dépendance pour les pays du Maghreb. En conséquence, le commerce maghrébin, soumis à la sacro-sainte loi « des avantages comparatifs acquis » en vogue au niveau international, devrait être réorganisé pour répondre à une quadruple stratégie commerciale : celle de l’export-substitution ; celle de l’import-substitution ; celle de la libre et juste concurrence ; celle de la construction des avantages comparatifs et compétitifs. Avec un objectif fondamental : celui de garantir une régulation économique et sociale fondée sur le droit, la liberté et la justice. De sorte à mettre progressivement un terme à l’économie administrée et à son pendant, l’économie informelle, et à protéger la libre concurrence et le libre et juste accès des populations aux biens et services fondamentaux.

Appuyer la transition politique, démocratique et pacifique

Pour autant, une telle transition économique n’a de chance de réussir que si elle s’accompagne d’un profond changement politique. Car la liberté économique ne peut se réaliser pleinement que dans un cadre démocratique : la liberté économique et la liberté politique sont indissociables. Elles constituent ensemble le fondement de toute transition démocratique. En matière politique, il faut donc se départir de la frilosité qui a caractérisé le partenariat euromaghrébin. Celui-ci a trop longtemps relégué à l’accessoire cette question fondamentale pour mieux se focaliser sur la liberté de commerce et la sécurité dans la région. En vain, puisqu’au bout du compte cela n’a permis ni le développement de la région, ni sa stabilité au vu des conflits et tensions qui s’y sont multipliés. Peut-être a-t-il manqué à l’Europe, pendant toutes ces années, d’être à l’écoute des sociétés civiles du Maghreb, se contentant des rencontres avec les officiels des régimes ou leurs représentants. Il est vrai que lorsque les intérêts sont en jeu, il ne reste que peu de place au courage politique !

En tout état de cause, du côté de l’Europe comme du côté du Maghreb, le temps n’est plus aux tergiversations ou aux esquives, encore moins aux jeux troubles : il n’y a d’autre voie que de répondre à toutes les exigences démocratiques et pacifiques des populations et de les accompagner, franchement et sans arrière-pensées, dans leurs démarches pacifiques vers un avenir de liberté. L’Europe a su accompagner les pays de l’est dans ce sens avec les succès qu’on connaît. La plupart d’entre eux s’inscrivent aujourd’hui dans des régimes démocratiques et la vie politique y est régulée de façon pacifique. Dès lors, qu’attend-on pour appliquer les mêmes règles (adaptées à l’histoire de chaque pays) au Maghreb, selon un principe clairement exprimé ces dernières semaines par la population algérienne : « sans ingérence et sans indifférence » ?

Construire un Maghreb libre et démocratique

Enfin, s’il est vrai que l’évolution économique et politique dans la région maghrébine est d’abord l’affaire de chaque pays et de chaque peuple, il n’en demeure pas moins que la situation régionale peut être un frein, comme c’est le cas depuis 1989, ou au contraire un accélérateur des transitions démocratiques dans chacun des pays. D’autant qu’au niveau des populations l’idée d’un « Maghreb des peuples » est un vieux rêve et une revendication ancienne toujours d’actualité. À l’image de ce qui s’est réalisé en Europe, les Maghrébins sont prêts à s’unir dans leur espace naturel et historique. C’est pourquoi les peuples maghrébins inscrivent toujours l’objectif d’un Maghreb uni dans leurs projets de transition démocratique.

Bien entendu, dans cette perspective, l’UPM pourrait jouer un rôle majeur, même s’il fallait revoir ses priorités et son mode d’organisation. Les projets prioritaires d’aujourd’hui, bien qu’importants, n’ont de chance d’aboutir qu’à condition d’être en phase avec les exigences de l’heure en termes de transitions économique et politique, mais aussi d’intégration régionale.

Pour mieux coller aux réalités et exigences du Maghreb d’aujourd’hui, l’UPM devrait donc, elle aussi, se transformer, à un terme le plus proche possible, en une véritable communauté méditerranéenne régie, comme au sein de l’Union européenne, par des normes démocratiques, sociales et environnementales, sans que soient dénaturées les spécificités culturelles et cultuelles des différents peuples de la Méditerranée. Dans ce cadre, ce qui pourrait prendre le nom d’« Union démocratique méditerranéenne » créerait les conditions les plus favorables pour un rééquilibrage à la fois géographique (moins vers l’est et plus vers le sud), politique, économique, social et environnemental – la transition démocratique – du partenariat euromaghrébin. Pour que le partenariat euromaghrébin soit enfin en mesure d’étancher la soif de paix, de liberté, de progrès et de justice sociale qu’expriment chaque jour davantage les populations. Alors, « d’un torrent de larmes, les peuples de la Méditerranée pourront faire un lac de paix ». Sinon, prenons garde : à vouloir réduire la question à la construction d’un énième partenariat entre l’Europe et le Maghreb, à forte odeur de pétrole, à visée commerciale et à relents sécuritaires, certains prennent le risque d’un échec renouvelé et douloureux.

                         Fondation Jean Jaurès,  penser pour agir

…………………………………………………………………………………………………

TEXTE 3

Le Maghreb et l’Union européenne (UE)

Par Jean-François DREVET, le 4 mai 2016     

 Diploweb.com  La revue géopolitique

Les relations du Maghreb et de l’UE sont ici présentées de façon très complète et précise par Jean-François Drevet. Il présente successivement la chronologie ; la géopolitique des relations Maghreb/UE ; la thématique des coopérations et trois questions transversales : sécurité énergétique, dimension atlantique et saharienne, démocratie. Illustré de 10 tableaux.

Synthèse

AU COURS des deux dernières décennies, l’Union européenne (UE) a opéré une large diversification de ses interventions en direction des pays du Maghreb et plus spécifiquement du Maroc et de la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie et la Libye restant en retrait. Bien que son rôle ne soit pas toujours apparent, l’UE apporte une contribution implicite, mais croissante à la configuration sur le long terme des espaces qui la bordent sur les rives sud de la Méditerranée et à l’Afrique du nord-ouest.

Les interventions communautaires fonctionnent suivant une logique très « européocentrique  », particulièrement affirmée dans la PEV du fait de sa parenté avec la négociation d’adhésion. D’une part, la politique européenne est la projection des acquis internes (là où il existe une compétence communautaire) sur les pays tiers. D’autre part, l’approche « à la carte » implique la digestion d’une bonne partie des 90000 pages du journal officiel UE, ce qui pose des problèmes d’adaptabilité et de gestion aux administrations des pays du voisinage, chargées de les appliquer. Il en résulte une capacité de mise en œuvre inégale : dans les documents de stratégie, les pays du Maghreb prennent un assez grand nombre d’engagements, dont la concrétisation se fait parfois attendre.

Bien qu’elle soit presque aussi ancienne que la création du Marché commun, la promotion d’une relation préférentielle UE-Maghreb ne va pas de soi. On observe une perception inégale des problèmes maghrébins dans les instances européennes : le Parlement européen (PE) est plus sensible aux questions de principe (les droits de l’homme, la démocratie) que le Conseil (plus porté au réalisme). La Commission agit de manière diversifiée suivant ses politiques, où le Maghreb occupe une place variable. Il faut aussi compter avec la concurrence entre les 28 États membres, qui ont des priorités géographiques divergentes : chacun soutient les pays avec lequel il a les liens les plus intenses.

Entre les trois pays en position centrale (Maroc, Algérie, Tunisie), l’intégration est entravée par l’inadaptation des infrastructures et la faiblesse des échanges (moins de 3% du volume total) qui les rend plus concurrents que complémentaires. Géré dans le cadre d’accords commerciaux anciens, partiels, non mis à jour ou non entrés en vigueur, le coût du commerce inter-Maghreb est trois fois plus élevé qu’à l’intérieur de l’UE. L’antagonisme Algérie-Maroc au sujet du Sahara occidental a de nombreuses conséquences économiques, dont la fermeture de la frontière commune depuis 1994. C’est pourquoi l’UE n’a pas rencontré de succès dans ses propositions d’organiser des négociations de « bloc à bloc », comme elle le fait avec le groupe ACP. La PEV offre un cadre commun, où chacun prend ce qu’il veut ou ce qu’il peut, mais où l’approche bilatérale reste dominante.

En tant que pays afro-arabes, les États maghrébins ont parfois redouté de donner une trop grande priorité à l’Europe dans leurs relations extérieures. En principe, les 5 pays sont destinés à développer leur démarche d’intégration dans le cadre de l’option prise au moment des indépendances, des adhésions à la Ligue arabe et à l’Union africaine. Cependant, en termes d’intégration économique, ces organisations n’ont produit que des résultats limités. À moins de se cantonner dans une approche solitaire, il n’existe pas pour le Maghreb d’alternative à l’intensification d’un « partenariat privilégié » avec l’UE.

Les documents de stratégie et les action plans établis par la Commission européenne avec le concours des pays du Maghreb donnent une liste très exhaustive des activités de coopération entreprises ou réalisées, qui couvrent un large éventail de politiques communautaires, notamment pour le Maroc et la Tunisie, qui ont opté pour le « statut avancé » :

La logique économique reste à la base de la coopération : la gestion du régime des échanges est une compétence communautaire, ultérieurement étendue à celle du marché unique. Elle est d’une grande importance pour le Maghreb, puisqu’il fait la plus grande partie de son commerce extérieur avec l’UE.

La logique territoriale découle de la prise en compte de l’impact géographique des politiques communes. Les compétences européennes y sont inégales, mais réelles et les pays du Maghreb plus concernés que les autres en raison de leur proximité avec l’Europe. Il s’agit d’un ensemble d’interventions d’intensité variable dans les domaines de l’environnement, des transports, de l’aménagement du territoire, de la cohésion territoriale et de la politique maritime intégrée.

La logique sécuritaire apparaît plus récemment, avec l’émergence des nouvelles compétences communautaires de la politique de Liberté, Sécurité, Justice : elle comprend la gestion des flux migratoires, la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Le Maghreb tout entier (y compris la Libye et la Mauritanie) est très directement concerné par les développements de ces politiques, qui ont des implications directes sur sa stabilité politique et démographique. Depuis quelques années, ces problèmes ont pris une dimension saharienne, éventuellement atlantique, d’une importance croissante.

Si la logique politique est déjà présente dans toutes les actions décrites ci-dessus, elle est explicite dans la recherche d’un dialogue permanent entre les deux rives de la Méditerranée et plus précisément dans le bassin occidental. En pratique, le Maghreb recèle à la fois plus d’opportunités de coopération et plus d’avantages à les développer que les autres PSEM (pays du sud et de l’est méditerranéen). Reste à définir dans quel cadre le « statut avancé » peut fonctionner en termes politiques, en fonction de la conditionnalité démocratique qui prend de l’importance du côté de l’UE et sans porter atteinte à l’identité non-européenne des pays du Maghreb.

Enfin, la coopération passe par le canal d’instruments financiers, notamment l’IEV (Instrument européen de voisinage).

D’une manière générale, la diversification de la coopération intervenue dans le cadre de la politique de voisinage (PEV) n’est pas synonyme d’intensification. Une partie des actions qui figurent dans les documents communautaires est au stade du lancement ou de la signature d’accords spécialisés, qui prennent du temps à être négociés, puis ensuite signés et ratifiés, avant de connaître une mise en œuvre effective.

Par rapport à la vision classique transméditerranéenne, l’évolution récente fait émerger une conception plus large, qui englobe les 5 pays du « grand Maghreb » et donne une importance grandissante à leurs dimensions atlantique et saharienne.

Si la France, l’Espagne et le Portugal n’ont jamais perdu de vue que le Maroc avait une façade atlantique, l’UE s’est traditionnellement focalisée sur le Maghreb, en tant que péninsule presque entièrement incluse dans le bassin occidental de la Méditerranée et membre du groupe des PSEM. L’absence de coopération avec la Libye et l’appartenance de la Mauritanie au groupe ACP ont accentué cette polarisation. Au contraire, l’émergence de problèmes nouveaux (immigration clandestine, lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme) ont fait émerger d’autres préoccupations, accroissant l’importance de la façade atlantique. En 2007, l’UE a négocié un « partenariat spécial » avec l’archipel du Cap Vert, qui lui donne un statut proche des pays éligibles à la PEV. Au nom du « grand voisinage », le Cap Vert et la Mauritanie sont associés depuis 2007 aux programmes de coopération transnationale des trois archipels ibéro-atlantiques.

Ce que les géographes arabes appelaient « djezireh al maghreb » (l’île du couchant), est aujourd’hui bien moins insulaire que dans le passé, pour autant qu’elle l’ait vraiment été. L’évolution des techniques (véhicules tout terrain, géolocalisation) permet aujourd’hui de traverser assez facilement le désert, même à travers les régions autrefois les plus répulsives. Le trafic transsaharien n’est plus dépendant des conditions naturelles comme il l’avait été pendant des siècles. Il en résulte une intensification sans précédent de la circulation des personnes et des marchandises, mais aussi de graves menaces sur la sécurité et la stabilité des États sahariens. Depuis 2008, le Service européen d’action extérieure (SEAE) travaille à la mise au point d’une stratégie commune pour accroître la sécurité et le développement du Sahel.

Du fait de leur tradition politique et de la libéralisation de leurs économies, l’intégration est aujourd’hui en progrès avec le Maroc et la Tunisie, qui s’acheminent vers le « statut avancé » qui en fera progressivement des partenaires aussi proches de l’UE que l’est actuellement la Turquie. Cette voie est aussi ouverte pour l’Algérie, en fonction du degré de transformation qu’elle voudra apporter à son économie. Elle pourrait être offerte à la Libye, bien que sa situation politique actuelle l’apparente plutôt aux pays les plus instables du Mashrek. Reste à définir le statut ultérieur de la Mauritanie, en fonction de la montée en puissance de la dimension saharienne et atlantique dans le grand Maghreb.

Dans l’immédiat, il faut s’interroger sur les potentialités d’une intensification des relations dans le bassin occidental de la Méditerranée, dans un cadre à privilégier, qui regrouperait les pays les plus motivés sur des projets à dimension territoriale et sécuritaire. Si cette coopération devait s’accroître, faudrait-il l’insérer dans le cadre communautaire, en tant qu’espace privilégié de coopération transnationale, avec des perspectives qui ne seraient pas offertes aux autres PSEM ?

…………………………………………………………………………………………………………………………..

Le texte 4 qui va suivre va développer et approfondir les aspects soulevés précédemment.

TEXTE 4

                         Le Maghreb et l’Union Européenne

Introduction

La construction européenne est un processus à logique interne (inward looking) qui n’a longtemps accordé qu’une importance limitée aux relations avec les pays tiers. Faute de compétences inscrites dans les traités et d’expérience par rapport aux grands États membres, la Commission européenne s’est longtemps concentrée sur le suivi des questions commerciales et la gestion de protocoles d’aide financière avec quelques groupes de pays bénéficiaires. Ce fut le cas des pays du sud et de l’est méditerranéen (PSEM) et notamment de trois pays du Maghreb (le Maroc, l’Algérie et la Tunisie), éligibles depuis le début des années 1970 à un régime commercial préférentiel et à une aide au développement.

Ensuite, au cours des deux dernières décennies, le cadre des relations extérieures de l’Union européenne (UE) a été modifié par l’évolution du contexte global (mondialisation, globalisation, intensification des échanges commerciaux, de la circulation des capitaux et des personnes) et l’extension des compétences de l’UE à des politiques antérieurement du ressort des États membres (environnement, immigration, lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme), dans lesquelles les pays tiers ont un rôle important à jouer (c’est parfois une condition de leur efficacité). Il faut y ajouter l’émergence, encore embryonnaire d’une politique étrangère européenne (y compris la défense), qui ne peut se désintéresser des pays du voisinage.

Cette évolution a entraîné une diversification des relations avec les PSEM, d’abord dans le cadre de l’EUROMED initiée en 1995 par le « processus de Barcelone », puis à partir de 2004, à travers la Politique européenne de voisinage (PEV), à laquelle sont éligibles quatre pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie et Libye), la Mauritanie étant membre du groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP).

Cette relation sera examinée à travers quatre chapitres :

. un rappel chronologique ;

. une géopolitique des relations Maghreb/UE ;

. une thématique des coopérations ;

. trois questions transversales (sécurité énergétique, dimension atlantique et saharienne, démocratie).

Cette étude a fait l’objet d’une première publication sur le site du Ministère français de la Défense en janvier 2015 (DGRIS). Le présent texte est une complète actualisation effectuée en février 2016.

1. Rappel Chronologique

Sans vouloir remonter trop loin dans le temps, les relations sont passées par trois étapes successives : les accords d’association initiaux (1969-1995), puis le processus de Barcelone qui a lancé la coopération EUROMED (1995-2004) et plus récemment la politique européenne de voisinage (depuis 2004, y compris les révisions effectuées en 2011 et 2015).

Les accords d’association initiaux (1969-1995)

Le développement du Marché commun impliquait une évolution des relations commerciales préférentielles que la France avait hérité de son passé colonial avec les pays du Maghreb. Le premier accord commercial (CEE/Maroc) remonte à 1969 et des accords d’association ont été signés dans les années 1970 avec les trois pays sur les bases suivantes :
Ouverture du marché communautaire aux produits manufacturés du Maghreb sans obligation de réciprocité ;

transposition dans le cadre communautaire des préférences agricoles acquises en bilatéral (avec la France pour le Maghreb) : réductions tarifaires, ouverture de quotas et de calendriers d’exportation ;

extension de la politique européenne d’aide au développement (orientée principalement à l’époque vers le groupe ACP via le FED) au profit des PSEM, en leur offrant l’accès à des protocoles financiers.

Le fonctionnement de ces accords a été marqué par des controverses sur la Politique agricole commune (PAC) et la gestion parfois difficile des protocoles financiers :

« protectionnisme  » de la PAC : quand les PSEM, dont le Maroc et la Tunisie (l’Algérie ayant cessé d’exporter ses produits agricoles), avec l’appui des États membres du nord, ont voulu élargir les préférences dont ils bénéficiaient, ils se sont heurtés à la France et à l’Italie, ultérieurement à la Grèce. Pour défendre leurs agriculteurs, ces pays ont voulu maintenir un niveau élevé de « préférence communautaire », en accusant leurs partenaires du nord de faire des concessions commerciales à leur détriment ;

les montants des protocoles financiers avec les pays du Maghreb sont restés faibles et n’ont pas été facilement consommés (complexité des procédures européennes, insuffisante capacité d’absorption des pays bénéficiaires, notamment de l’Algérie).

Barcelone et la dynamique EUROMED (1995-2004)

Au début des années 1990, la fin de la guerre froide crée un contexte totalement nouveau. Face à la volonté de rapprochement des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et à leurs demandes d’adhésion, les PSEM réclament une relance de la coopération inter-méditerranéenne.

Cette demande est favorablement accueillie par les États membres du Sud et par la Commission, qui avait depuis longtemps manifesté sa volonté d’élargir sa politique méditerranéenne [1]. Elle est approuvée au cours d’une réunion UE/PSEM sous présidence espagnole tenue à Barcelone en novembre 1995.

Elle donne lieu à la mise en œuvre d’un partenariat euro-méditerranéen (EUROMED) élargissant la coopération aux nouveaux domaines de compétence de l’UE et favorisant un dialogue politique :

Appui aux réformes économiques, engagement de tous les participants en faveur de l’économie de marché ;

Désarmement douanier, avec l’objectif du libre-échange en 2010 (en fait, des réductions tarifaires qui tardent à se concrétiser, l’Algérie ne comptant y parvenir qu’en 2020) ;

Extension du champ de la coopération, notamment à des secteurs comme l’environnement, les transports, la coopération transfrontalière, qui concernent plus particulièrement le Maghreb, en raison de sa proximité géographique avec l’Europe (en particulier le Maroc).

Depuis 1995, les progrès les plus importants ont été réalisés sur de nombreux dossiers techniques :

Établissement d’un plan EUROMED des grandes infrastructures de transport, en complément de la politique européenne des réseaux transeuropéens ;

affirmation d’objectifs communs en matière de protection de l’environnement (engagement d’approuver un calendrier de dépollution de la Méditerranée d’ici 2020, suivant les objectifs du Plan bleu) ;

participation du Maghreb à la politique maritime intégrée.

Par contre, les promesses de coopération politique et d’essor de la démocratie ne se sont pas concrétisées.

Depuis 2004, la politique européenne de voisinage (PEV)

À la fin de 2002, la conclusion de la négociation d’adhésion avec 10 pays candidats dont 2 PSEM (Malte et Chypre) pose le problème des relations à développer avec ceux qui n’ont pas vocation, au moins dans l’immédiat, à rejoindre l’UE. En effet, celle-ci est préoccupée par la formation, éventuelle mais jugée assez probable, d’une nouvelle file d’attente, avant la « digestion  » des nouveaux membres de 2004 (et de 2007 puisque les adhésions de la Roumanie et de la Bulgarie sont déjà programmées).

À cet effet, l’UE propose à 16 pays de la périphérie européenne (6 ex-républiques soviétiques et 10 PSEM) une nouvelle politique dite de voisinage (PEV). Elle leur offre de reprendre la plus grande partie de l’acquis communautaire, mais sans perspective d’adhésion, « tout sauf les institutions », suivant une expression de Romano Prodi, alors président de la Commission. En fait l’ouverture est plus restrictive, puisqu’il n’est pas question de libre circulation des personnes (à cause des problèmes migratoires) ou d’allouer aux pays éligibles des aides aussi massives que celles offertes aux pays candidats.

La proposition de la Commission reprend l’exigence démocratique déjà formulée à Barcelone, mais sans en faire une condition préalable. Préparée par des fonctionnaires ayant participé aux négociations d’adhésion, la PEV en porte l’empreinte : elle demande aux pays bénéficiaires une très grande capacité d’adaptation à la législation européenne, en tant qu’option à définir dans les « plans d’action » en fonction des besoins propres à chaque pays.

En 2011, face à ce qui fut qualifié à l’époque de « printemps arabe », la Commission révise sa proposition pour y introduire une « prime » en faveur des pays engagés dans un processus démocratique. C’est le temps du « more for more », qui doit récompenser les plus méritants.

Après une décennie de mise en œuvre, en dépit de son potentiel très important, la PEV a débouché sur des résultats plus limités que prévu, notamment à cause de l’importance des obstacles politiques :

réticences de certains États membres à une intensification de la coopération sur des questions controversées (ouverture du marché européen à des produits dit « sensibles », gestion difficile des migrations) ;

insuffisance des performances démocratiques dans les pays éligibles, y compris au Maghreb. Après avoir été relativement optimiste sur leur évolution politique, l’UE a réalisé qu’elle serait plus lente que prévu et que dans l’intervalle il faudrait coopérer avec des régimes autoritaires ;

par ailleurs, le « democratic gap » réduit la marge d’initiative des acteurs non gouvernementaux (entreprises, collectivités territoriales, autres partenaires de la société civile). Il est une source potentielle de refroidissement des relations, à chaque fois qu’une violation spectaculaire des droits de l’homme mobilise l’opinion publique européenne ;

enfin, les effets attendus de l’ouverture en termes de croissance économique et de créations d’emplois sont lents à se concrétiser.

Au Maghreb comme ailleurs, la PEV a débouché sur une diversification plus qu’une intensification de la coopération :

Elle englobe des thèmes de plus en plus nombreux, chaque Direction générale de la Commission ayant maintenant un « volet externe » de mise en œuvre de ses politiques dans les pays du voisinage ;

Elle n’a pas entraîné de modification en profondeur des relations économiques (faible progression du libre-échange) ni de forte croissance des flux budgétaires et financiers vers les pays éligibles : pas d’augmentation importante de l’aide publique européenne verrouillée par le cadre budgétaire pluriannuel, pas d’afflux des capitaux européens comme cela a été observé dans les pays candidats d’Europe centrale ;

Sur les questions migratoires, la gestion de la PEV a tourné au marchandage : l’UE a accepté de libéraliser le régime de visas en échange d’accords de réadmission des immigrants illégaux, le Maghreb étant dans une situation particulièrement critique du fait de sa position géographique (transit de beaucoup d’immigrants illégaux) et de l’existence d’un courant migratoire soutenu vers la France et quelques autres pays de l’UE.

La Commission entrée en fonction en novembre 2014 a procédé à une nouvelle révision de la PEV qui a fait l’objet d’une communication en 2015 [2] et d’un commentaire de l’auteur [3].

Synthèse des accords

 

Synthèse des accords Maghreb-UE

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Les interventions communautaires fonctionnent suivant une logique très « européocentrique  », particulièrement affirmée dans la PEV du fait de sa parenté avec la négociation d’adhésion. D’une part, la politique européenne est la projection des acquis internes (là où il existe une compétence communautaire) sur les pays tiers, qui pourrait se résumer ainsi : « si vous faites la même chose que moi, je vous aiderai pour cela !  » D’autre part, l’approche « à la carte » implique la digestion d’une bonne partie des 90000 pages du journal officiel de l’UE, ce qui pose des problèmes d’adaptabilité et de gestion aux administrations concernées.

Cette attitude a une certaine logique : quand les États membres s’accordent sur une politique (par exemple l’environnement ou la dépollution de la Méditerranée), il y a beaucoup de chances pour que cette politique soit aussi applicable dans les pays du voisinage. Mais elle condamne la PEV à n’être qu’un immense catalogue assez peu sensible à la diversité des situations des pays éligibles, la prise en compte de leurs besoins ne venant qu’en second lieu.

Il en résulte une capacité de mise en œuvre inégale : dans les documents de stratégie, les pays du Maghreb prennent un assez grand nombre d’engagements, dont la concrétisation se fait parfois attendre, même si elle est évoquée de manière assez pudique dans les rapports d’activité, contrairement à ceux que le SEAE effectue chaque année pour les pays candidats, où l’absence de progression est beaucoup plus clairement décrite, même si c’est en termes diplomatiques.

2. Géopolitique de la coopération

Bien qu’elle soit presque aussi ancienne que la création du Marché commun, la relation préférentielle UE-Maghreb ne va pas de soi. Sa perception est inégale dans les instances européennes : le Parlement européen (PE) est plus sensible aux questions de principe (les droits de l’homme, la démocratie) que le Conseil (plus porté au réalisme). La Commission agit de manière diversifiée suivant ses politiques, où le Maghreb occupe un rang de priorité variable. Il faut aussi compter avec la concurrence entre les 28 États membres, qui ont des priorités géographiques divergentes : chacun soutient les pays avec lequel il a les liens les plus intenses.

Le Maghreb vu de Bruxelles

Comme nous l’avons vu, les relations avec le Maghreb ont été au départ de type postcolonial : comme avec les ACP, la Commission a fait une offre d’ouverture aux échanges, assortie de quelques privilèges commerciaux et d’une aide financière. Ensuite, c’est la création de nouvelles politiques communes, notamment celles à impact territorial (environnement, coopération transfrontalière et transnationale), qui ont donné de l’importance au Maghreb, en raison de sa proximité géographique.

Plus récemment, les questions de sécurité n’ont pas cessé de monter en puissance : d’abord l’immigration, puis le crime organisé et maintenant le terrorisme. L’UE constate que ces politiques ne peuvent fonctionner valablement sans une coopération active avec les pays du voisinage et notamment avec les plus proches de l’UE, ce qui est le cas du Maghreb.

Enfin, les derniers événements favorisent l’émergence d’une perception élargie du Maghreb, qui n’est plus seulement un groupe de PSEM plus occidentaux que les autres, mais une grande plate-forme géopolitique où les dimensions atlantique et transsaharienne s’ajoutent à la méditerranéenne, notamment à travers des préoccupations accrues en matière de sécurité et de défense.

Des États membres inégalement motivés

Quand la Commission européenne négocie avec des pays tiers, elle doit préalablement obtenir un mandat du Conseil, donc faire converger des intérêts divergents. C’est notamment le cas si la négociation concerne un espace géographique donné qui n’a pas la même importance pour tous les États membres. Elle doit aussi établir ses propositions en ligne avec les politiques communes (chaque Direction générale ayant sa conception de l’importance à accorder au « volet externe » de sa politique) et se conformer au cadre budgétaire pluriannuel (2007-2013, puis 2014-2020), ce qui limite sa marge d’action.

Dans l’UE, l’intérêt pour le Maghreb est variable. Si la France, qui occupe une position particulière en raison de ses liens historiques, est en faveur d’une intensification de la coopération, elle veille à ce que sa première place ne soit pas remise en cause par la concurrence de ses partenaires. Les autres États membres sont relativement méfiants : ils craignent un assujettissement de l’action communautaire à des objectifs purement français.

Son « tropisme maghrébin » est partagé par ses deux grands voisins méditerranéens (Espagne et Italie), qui ont d’importants intérêts commerciaux et des relations de proximité, l’une avec le Maroc, l’autre avec la Tunisie. Il l’est également dans une moindre mesure par le Portugal et Malte. La Belgique et les Pays-Bas ont aussi un intérêt, dans la mesure où une forte proportion de leur population immigrée est d’origine marocaine (400000 en Belgique, 460000 aux Pays-Bas).

L’Allemagne n’a pas de relation particulière avec le Maghreb, mais elle est son troisième partenaire commercial (après la France et l’Italie). Elle pèse en faveur d’une « communautarisation » des relations qui favorise ses échanges [4], ce qui l’amène à soutenir les positions de la Commission. Angela Merkel, soutenue par les États membres non méditerranéens, a ainsi combattu avec succès la tentative française d’une Union pour la Méditerranée (UPM) limitée aux pays riverains.

Les autres membres ne voient pas de nécessité d’accorder au Maghreb, pas plus qu’aux autres PSEM, un traitement particulier, notamment en matière d’aides au développement. Ils estiment que la politique de l’UE doit découler de l’intensité de ses relations commerciales : le slogan « trade, not aid  » est leur refrain favori, leurs échanges avec le Maghreb étant assez réduits.

La concurrence de la périphérie orientale de l’UE

Au niveau des principes généraux d’action, l’objectif de la Commission est de maintenir une balance égale entre tous les pays éligibles à la PEV, donc entre l’Est et le Sud. Les présidences tournantes ont tendance à privilégier l’orientation géographique qui convient à leurs intérêts : c’est ainsi qu’ont été successivement créés le processus de Barcelone (présidence espagnole), l’Union pour la Méditerranée (présidence française) et le partenariat oriental (présidence tchèque), sans compter la dimension nordique de l’UE (présidence finlandaise). En fait, les pressions opposées s’annulent et ces initiatives sont souvent aussi éphémères que les présidences tournantes, compte tenu des rigidités du budget communautaire.

Depuis l’ouverture du mur de Berlin (1989), l’intensification des relations avec les PSEM est mise en concurrence avec le soutien apporté aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Alors que ces pays, à l’exception aujourd’hui paradoxale de la Yougoslavie [5], n’entretenaient aucune relation avec l’UE jusqu’à la fin des années 1980, ils sont devenus des États membres, tandis que les PSEM, à l’exception de Chypre et de Malte, sont restés des pays associés [6].

Le Maghreb est-il avantagé par son appartenance au groupe des PSEM ?

Au début des années 1980, la Commission avait regroupé, sous le nom de « pays tiers méditerranéens  » (PTM), les pays associés [7], qui comprenaient alors tous les riverains de la Méditerranée, dont des États européens (l’Espagne, le Portugal, Chypre et Malte, la Yougoslavie, la Turquie) non membres de la Communauté. Le groupe des PSEM s’est donc constitué par soustraction, à la suite des élargissements successifs de l’UE. Bien qu’à l’exception d’Israël, il ne compte que des pays arabes, il reste relativement hétéroclite et ne s’est pas organisé comme le groupe des ACP.

L’Union pour la Méditerranée (UPM) groupe 43 membres très inégalement motivés, où les pays riverains ne comptent que pour la moitié du total. En 2014, son secrétariat général, basé à Barcelone, a labellisé 29 projets, représentant 4 milliards d’€ [8].

En fait, le Maghreb, qui fait une plus grande part de ses échanges avec l’UE que les autres PSEM, n’a pas les mêmes intérêts que ses partenaires, ce qui pourrait conduire à la recherche d’un cadre plus adapté, où ses préoccupations seraient mieux prises en compte.

La faiblesse de la coopération intermaghrébine

Il faudrait pour cela des relations intermaghrébines plus coopératives : or le Maghreb est affecté par différents facteurs d’hétérogénéité et un antagonisme, qui explique en partie son faible niveau d’intégration.

Fondée en 1989 à Marrakech, l’Union du Maghreb arabe (UMA) n’a pas beaucoup progressé depuis [9]. Le Conseil des chefs d’État ne s’est pas réuni depuis 1994 et le conseil consultatif (150 représentants désignés) le fait très rarement. Au demeurant le cadre juridique, telle qu’il a été établi par le traité est faible : toutes les décisions relèvent du Conseil des chefs d’État et requièrent l’unanimité. Il n’existe pas d’assemblée parlementaire et de Cour de justice. Il a fallu attendre décembre 2013 pour signer la convention instituant une Banque maghrébine d’investissement et de commerce extérieur. Le Secrétariat général fait ce qu’il peut avec des moyens très limités, les États membres ne payant pas régulièrement leur cotisation. En 2012, une relance de la coopération intermaghrébine a tourné court. Elle reste une priorité politique régulièrement affirmée, mais dépourvue de conséquences pratiques.

Il n’existe pas non plus de relation plurilatérale, où l’UMA, par exemple, négocierait avec l’UE au nom de ses membres. Les contacts que chaque pays entretient individuellement avec l’UE sont plus fréquents et plus systématiques que ceux qui existent entre eux. Chacun tient à conserver ses relations directes avec Bruxelles, qui sont inégalement développées et parfois divergentes.

Le Maroc bénéficie depuis 2008 d’un « statut avancé » avec l’UE. Il se perçoit comme le PSEM le plus proche de l’Europe. Il a aussi conclu un accord de libre-échange avec Washington, avec qui Rabat a un « dialogue stratégique », car il veut aussi développer ses relations transatlantiques.

La Tunisie, seulement méditerranéenne, mieux reliée à l’Orient et de taille plus réduite, joue l’ouverture économique et bénéficie du statut avancé et de la « prime à la démocratie » offerte par l’UE. Cependant, elle s’inquiète de son manque de compétitivité vis-à-vis du projet de libre échange complet et approfondi (ALECA).

L’Algérie, en réaction contre son passé de département français, a développé une identité plus autocentrée. Bien qu’ayant fait partie du marché commun de 1958 à 1962 [10], elle est aujourd’hui un partenaire moins motivé, qui met ses relations avec l’UE à égalité avec sa participation à la Ligue arabe ou à l’Union africaine. Elle n’a pas aimé l’UPM (perçue comme une résurgence du colonialisme français) et l’intervention européenne en Libye. Restée étatiste (son statut d’observateur à l’OMC indique qu’elle ne remplit pas les conditions de son adhésion), elle ne veut pas s’engager dans la voie libérale que lui propose Bruxelles (par exemple renoncer à la loi 49/51, qui interdit aux investissements étrangers d’être majoritaires) et estime (comme la Norvège) qu’elle possède assez de pétrole et de gaz pour ne pas devoir se lier les mains par une coopération intensive, ce qui explique que le plan d’action prévu dans la PEV soit en chantier depuis 8 ans. Par ailleurs, elle coopère de plus en plus avec Washington dans la lutte contre le terrorisme, dont elle a beaucoup souffert au cours des années 1990. Bien que son soutien à la RASD [11] l’ait isolée, elle est cependant un « pays-pivot » dans le dispositif stratégique organisé par les États-Unis, pour qui elle est aussi un partenaire pétrolier.

Les relations avec la Mauritanie et la Libye sont d’une autre nature.

La Mauritanie, membre du groupe ACP, émarge au FED et négocie son régime commercial dans le cadre de la convention de Cotonou. Elle est cependant devenue membre de l’EUROMED en 2007. Si son poids commercial est faible, elle occupe une position géopolitique essentielle pour la pêche, les questions d’immigration (vers les Canaries) et la lutte anti-terroriste ;

Dans les années 1970, la Libye de Kadhafi a été le seul PSEM à refuser de signer un accord d’association. Au nom de son identité arabe et africaine, elle ne voyait pas de logique à se lier avec l’Europe. Elle est cependant devenue observateur à l’EUROMED en 1999. En 2002, elle a signé avec l’Italie un accord de réadmission qui a fonctionné jusqu’en 2011, ses intérêts de pays d’immigration convergeant avec ceux de l’UE. C’est grâce à l’insistance de Romano Prodi qu’elle a été rendue éligible à la PEV, sans beaucoup d’effet pratique jusqu’à présent, du fait du chaos qui a suivi la chute du dictateur : la préparation de l’accord d’association est interrompue et les programmes de coopération ne peuvent se concrétiser.

Dans l’avenir, la montée des périls dans la zone sahélienne est de nature à accroître fortement la « dimension saharienne » des relations UE-Maghreb et donc le poids de la Mauritanie et de la Libye, pour autant qu’il soit possible de coopérer davantage avec elles.

Entre les trois pays en position centrale, l’intégration est entravée par l’inadaptation des infrastructures et la faiblesse des échanges (moins de 3% du volume total) qui en font des pays plus concurrents que complémentaires, en dépit de l’existence d’un potentiel important. Géré dans le cadre d’accords commerciaux anciens, partiels, non mis à jour ou non entrés en vigueur, le coût du commerce inter-Maghreb est trois fois plus élevé qu’à l’intérieur de l’UE [12].

L’antagonisme Algérie-Maroc au sujet du Sahara occidental a de nombreuses conséquences économiques : fermeture de la frontière algéro-marocaine depuis 1994, impossibilité de coopérer : chaque fois qu’un accord est en négociation, le Maroc veut que le Sahara occidental soit inclus et l’Algérie s’y refuse. Aussi longtemps que le conflit perdure, l’intégration maghrébine demeure un vœu pieux, en dépit de ses avantages évidents.

C’est pourquoi l’UE n’a pas rencontré de succès dans ses propositions d’organiser des négociations de « bloc à bloc », comme elle le fait avec le groupe ACP. La PEV offre un cadre commun, où chacun prend ce qu’il veut ou ce qu’il peut, mais où l’approche bilatérale reste dominante. À l’évidence, c’est le choix des pays concernés, qui préfèrent gérer leurs relations avec Bruxelles indépendamment de leurs voisins. En outre, en termes de reprise de la législation européenne, chaque pays à des besoins et des intérêts différents.

Perspectives

Compte tenu de la montée en puissance des nouvelles menaces transnationales, notamment sur les dossiers sensibles de l’immigration et du terrorisme, il reste à démontrer qu’un cadre multilatéral soit plus opérationnel. Comme dans le passé, la tendance lourde est se concentrer sur le renforcement des relations bilatérales avec les pays les plus désireux de coopérer.

Bien que souvent considéré comme insatisfaisant, le rapprochement est à mettre en comparaison avec ceux que mène l’UE avec d’autres pays, ou groupes de pays de sa périphérie. Dans tous les cas, il s’agit d’un processus d’adoption de tout ou partie de l’acquis communautaire, commun à plusieurs pays appartenant à des catégories différentes.

À ce titre, le Maroc, qui fait la course en tête parmi les PSEM, s’en sort assez bien. A moyen terme, bien que privé de perspective d’adhésion, il pourrait se trouver plus proche de l’UE que l’Ukraine (qui a la volonté de se rapprocher mais pas la capacité de le faire) et que la Turquie (qui en a la capacité, mais pas la volonté).

Quelles alternatives ?

Le rapprochement avec l’UE est-il la seule option disponible pour le Maghreb, puisqu’il appartient à d’autres groupements ?

Du fait de leur identité arabe et africaine, les 5 pays sont en principe destinés à poursuivre leur démarche d’intégration dans ce cadre. C’est du moins l’option prise au moment des indépendances, compte tenu de leurs adhésions à la Ligue arabe et à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue Union africaine. Dans quelle mesure ces autres formes de coopération multilatérale entrent-elles en concurrence avec l’UE ?

La Ligue arabe est un des plus anciens organismes de coopération intergouvernementale, fondé en 1945, qui regroupe 22 pays. Son centre de gravité est en Égypte (le siège de la Ligue est au Caire, après avoir été temporairement à Tunis). Mais la Ligue s’est construite en « contre » (l’impérialisme, le colonialisme, le sionisme, les États-Unis) plutôt qu’en « pour » (l’établissement d’institutions communes fortes). En conséquence, son fonctionnement est défectueux, ce qui explique le faible bilan des agences et des comités spécialisés.

La construction, toujours embryonnaire, du « marché commun arabe » est entravée par des problèmes fondamentaux qui ne sont pas résolus. La non-coopération a beaucoup de chances de se poursuivre en raison des intérêts antagonistes de plusieurs groupes de pays, notamment des exportateurs de pétrole, qui ne sont pas tentés de partager leurs ressources avec des pays moins favorisés.

Au-delà des questions identitaires, la participation du Maghreb à la Ligue arabe et les bénéfices qu’il peut en retirer interroge sur l’importance des complémentarités Maghreb/Mashrek.

Elles ont été très faibles dans le passé, le Maghreb ayant été complètement indépendant (Maroc) ou très autonome (régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli) par rapport à l’Empire ottoman. Ensuite, la colonisation a développé des relations « verticales  » avec la France et dans une moindre mesure avec l’Espagne et l’Italie.

Depuis les indépendances, des tentatives ont été menées pour « orientaliser  » le Maghreb à partir de « modèles » venus du Mashrek :

Efforts de l’Algérie pour accroître son identité arabo-musulmane à partir de l’expérience nassérienne ;

Poussée intégriste exportée par les Frères musulmans égyptiens et les monarchies du Golfe (aides financières et formation de cadres religieux), ce qui entraîne une importation au Maghreb des comportements sociaux et aussi des problèmes du Moyen-Orient ;

Augmentation de la circulation des personnes (prestations des travailleurs émigrés, pèlerinages à La Mecque [13]) et des investissements des monarchies du Golfe, bien qu’ils ne soient pas synonymes d’intégration économique.

En fait, dans le groupe MENA (Middle-East & North Africa) organisé par la Banque mondiale et souvent repris par les organisations internationales, les pays du Maghreb occupent une position marginale. En conséquence, l’attraction du Mashrek pour le Maghreb reste faible : en 2011, le Maroc a décliné l’offre de faire partie du Conseil de coopération du Golfe (CCG), avec lequel, à part la fidélité à la monarchie, il ne s’est pas trouvé assez de points communs.

L’Union africaine (UA) a succédé à l’Organisation de l’Unité africaine en 2002 : elle compte 54 États membres, dont 4 pays maghrébins sur 5. Son centre de gravité est en Afrique sub-saharienne et son siège à Addis-Abeba. Son rôle au Maghreb est entravé par la querelle algéro-marocaine concernant le Sahara occidental. En 1984, le Maroc a quitté l’OUA (Organisation de l’unité africaine) qui a précédé l’UA, en raison de l’acceptation de la « République arabe sahraouie démocratique », émanation du POLISARIO. L’UA intervient surtout dans le domaine politique, où elle a pour objectif la « résolution pacifique des conflits parmi les États membres de l’Union au travers des moyens appropriés décidés par l’Assemblée », à travers le Conseil de paix et de sécurité (CPS). Le CPS a le pouvoir d’autoriser des missions de soutien de la paix, d’imposer des sanctions en cas de changements inconstitutionnels de gouvernement et de « prendre des initiatives et des actions jugées appropriées  » en réponse à des conflits en cours ou potentiels. Le CPS est un organe décisionnel de plein droit et ses décisions sont contraignantes pour les États membres.

En revanche, sa dimension économique est réduite, l’UA encourageant les unions économiques régionales (Afrique de l’ouest (CEDEAO), Afrique orientale, Afrique australe), ce qui devrait logiquement la conduire à privilégier l’intégration du Maghreb, dont nous avons vu plus haut les difficultés. Par ailleurs, l’instabilité croissante des régions sahariennes conduit à une intensification de la coopération entre les pays concernés (5 au nord, 6 pays au sud du grand désert, tous membres de l’UA sauf le Maroc) sur les problèmes de sécurité.

En termes d’intégration économique, toutes ces organisations n’ont produit que des résultats limités. À moins de se cantonner dans une approche solitaire, on voit clairement qu’il n’existe pas pour le Maghreb d’alternative à une intensification du « partenariat privilégié » avec l’UE.

3. Thématique de la coopération

Les documents de stratégie et les action plans établis par la Commission européenne avec le concours des pays concernés donnent une liste exhaustive des activités de coopération entreprises ou réalisées, qui couvrent un large éventail de politiques communautaires et impliquent un assez grand nombre de ses directions générales. Pour la bonne compréhension, elles ont été regroupées sous cinq rubriques :

La logique économique reste à la base de la coopération : la gestion du régime des échanges est une compétence communautaire, ultérieurement étendue à celle du marché unique. Elle est d’une grande importance pour le Maghreb, puisqu’il fait la plus grande partie de ses échanges avec l’UE. Celle-ci y inclut sa sécurité énergétique, qui concerne avant tout l’Algérie et la Libye en tant qu’exportateurs de pétrole et de gaz naturel, mais aussi le Maroc et la Tunisie, pays de transit ;

La logique territoriale découle de la prise en compte de l’impact géographique des politiques communes. Les compétences européennes y sont inégales, mais réelles et les pays du Maghreb plus concernés que les autres en raison de leur proximité avec l’Europe. Il s’agit d’un ensemble d’interventions d’intensité variable dans les domaines de l’environnement, des transports, de l’aménagement du territoire, de la coopération transfrontalière et transnationale (au sens de la politique européenne de cohésion) et de la politique maritime intégrée. Ces thèmes ont été développés depuis 1995 dans le cadre d’EUROMED. Qu’il s’agisse de dépollution de la Méditerranée ou de coordination des réseaux de transports, les pays du Maghreb sont directement concernés, leurs politiques dans ce domaine étant fortement influencées par ce qui se fait (ou ne se fait pas) de l’autre côté de la mer intérieure ;

La logique sécuritaire apparaît plus récemment, suite à la mise en œuvre du traité d’Amsterdam (1er mai 1999), avec l’émergence de nouvelles compétences communautaires dans la politique de Liberté, Sécurité, Justice : elle comprend la gestion des flux migratoires en provenance des pays tiers, la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Le Maghreb tout entier (y compris la Libye et la Mauritanie) est très directement concerné par les développements de ces politiques, qui ont des implications directes sur sa stabilité politique et démographique. Depuis quelques années, ces problèmes ont pris une dimension atlantique et saharienne d’une importance croissante.

Si la logique politique est déjà présente dans les actions décrites ci-dessus, elle est explicite dans la recherche d’un dialogue permanent entre les deux rives de la Méditerranée et plus précisément dans le bassin occidental, où les complémentarités sont plus évidentes. En tant que pays afro-arabes craignant de céder au néo-colonialisme, les États maghrébins ont souvent redouté de donner dans leurs relations extérieures une trop grande priorité à l’Europe. En pratique, ils ont à la fois plus d’opportunités de coopération et plus d’avantages à les développer que les autres PSEM. Reste à définir dans quel cadre le « statut avancé » peut se définir en termes politiques, sans porter atteinte à l’identité du Maghreb et en fonction de la conditionnalité démocratique, pour autant qu’elle reste un critère important pour Bruxelles.

Enfin, la coopération passe par le canal d’instruments financiers, dont nous donnerons les principales caractéristiques.

Ont été traitées plus loin de manière transversale les trois questions hautement sensibles de la sécurité énergétique, de la dimension atlantique et saharienne et du déficit démocratique.

D’une manière générale, la diversification de la coopération intervenue dans le cadre de la politique de voisinage (PEV) n’est pas synonyme d’intensification. Une partie des actions qui figurent dans les documents communautaires sont au stade du lancement ou de la signature d’accords spécialisés, qui prennent du temps à être négociés, puis ensuite signés et ratifiés, avant de connaître une mise en œuvre effective.

La logique économique

Marché commun, puis marché unique, l’UE négocie et gère le régime des échanges au nom des États membres. En principe, elle agit en fonction de l’extension des quatre libertés : libre échange des marchandises et des prestations de services, libre circulation des capitaux et des personnes. En pratique, avec les pays du Maghreb, le mouvement de libéralisation est sujet à de nombreuses restrictions concernant des produits dits « sensibles », les prestations de services et le mouvement des capitaux. Quant à la circulation des personnes, elle fait l’objet de fortes limitations qui seront analysées dans le chapitre concernant les questions migratoires.

Au-delà de ses aspects techniques, la gestion des échanges comporte une forte dimension politique, qui conditionne l’évolution du régime d’association. Contrairement aux autres PSEM, les pays du Maghreb font la majorité de leurs échanges avec l’UE. Ils appartiennent à un groupe assez hétérogène de pays périphériques, comprenant aussi bien les pays de l’AELE (Norvège, Islande, Suisse), certains membres du partenariat oriental (Moldavie, Ukraine, Géorgie) et les candidats à l’adhésion (Turquie et Balkans occidentaux), qui sont de facto ou de jure engagés dans un processus d’intégration commerciale avec l’UE.

Le volume des échanges Maghreb-UE

 

Le commerce UE-Maghreb

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Bien que le Maghreb ne représente qu’une faible fraction des échanges de l’UE (3.6%), ce qui le situe au niveau de la Turquie (3.8%) et de la Norvège (4.0%), il est un partenaire important pour le commerce agro-alimentaire (fortes importations de produits agricoles européens) et en tant que fournisseur d’énergie (le pétrole brut et le gaz naturel représentent la quasi-totalité des exportations algériennes et libyennes). Hors hydrocarbures, L’UE en retire un excédent important, grâce à ses ventes de produits agricoles et manufacturés.

Le régime des échanges

Le maintien ou le développement de ces positions commerciales est lié à l’évolution du régime des échanges, qui conditionne en grande partie le niveau de coopération entre l’UE et le pays partenaire.

La Mauritanie et la Libye occupent une place à part :

La Mauritanie est depuis 1999 observateur à la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), qui a négocié avec la Commission l’accord de partenariat économique (APE) signé en juillet 2014 ;

La Libye n’étant pas membre de l’OMC, son régime des échanges avec l’UE est du ressort du droit commun.

Traditionnellement, l’UE milite en faveur de la libéralisation des échanges, même de manière asymétrique : les trois pays du Maghreb bénéficient depuis longtemps de l’accès au marché communautaire pour leurs produits manufacturés, mais l’inverse est loin d’être réalisé, les barrières tarifaires étant encore assez élevées (en 2012, 12.94% pour le Maroc et 15.54% pour la Tunisie suivant la nomenclature utilisée par l’OMC [14]). Jusqu’en 1995, leur protectionnisme était accepté au nom des impératifs de leur développement. Ensuite, dans la logique des négociations internationales pilotées par l’OMC, la réciprocité est devenue un objectif majeur de l’UE. En tant que gestionnaire, la Commission européenne a fait de nombreuses propositions de libéralisation, qui ont connu un destin variable.

Comme nous l’avons vu, l’objectif du libre-échange en 2010 énoncé en 1995 à Barcelone pour les PSEM n’a pas été réalisé. Avec beaucoup de retard, il n’a donné lieu qu’à des accords partiels : quelques pays sud-méditerranéens, dont le Maroc et la Tunisie, ont signé en février 2004 l’accord commercial d’Agadir, entré en vigueur en juillet 2006, qui aurait dû s’étendre à tous les PSEM. Cet accord, qualifié de « WTO minus », a un contenu en libre-échange assez limitatif, qui comporte essentiellement des réductions tarifaires. À titre complémentaire, la Tunisie a signé des accords bilatéraux avec l’Algérie et la Libye. Souhaitant développer le libre-échange dans le cadre de l’UMA, l’Algérie n’a pas voulu signer l’accord d’Agadir.

D’autres accords commerciaux complètent ou interfèrent avec ce mouvement de libéralisation :

La Tunisie a signé des accords commerciaux avec la Turquie (en union douanière avec l’UE) et avec l’AELE, qui complètent celui avec l’UE ;

En juin 2004, le Maroc a été le premier pays de la région à signer avec Washington un accord de libre-échange (entré en vigueur en janvier 2006), ce qui ne cadre pas avec l’approche UE. Cependant, la portée de l’accord est limitée par la faiblesse des échanges entre le Maroc et les États-Unis [15] ;

Dans ce contexte, le débat se poursuit au sujet du reprofilage de la gestion des échanges, à travers la reprise d’une partie importante de la législation communautaire. Le Maroc et la Tunisie aspirent au statut de « WTO + », qui supprimera les droits de douane subsistants et étendra le mouvement de libéralisation aux services et aux marchés publics, avec l’adoption des normes techniques et sanitaires de l’UE, non seulement pour l’exportation, mais aussi pour leur marché intérieur. Il y aurait aussi une libéralisation des échanges agricoles mais pas la libre circulation des personnes.

En 2011, la Commission a proposé un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), dans le cadre du «  statut avancé  », que le Maroc a obtenu en 2008, puis un accord de libéralisation des échanges agricoles en octobre 2012. Premier PSEM à abolir ses droits de douane avec l’UE, la Tunisie le suit dans cette voie.

Les études réalisées à la demande de la Commission soulignent les effets positifs attendus de la libéralisation des échanges. Le Maroc et la Tunisie en espèrent un développement de leurs exportations de fruits et légumes, de produits textiles et d’une manière plus générale un assouplissement du fonctionnement de leur économie. L’étude conclut à une forte stimulation des échanges, contribuant à un supplément de croissance du PIB. L’économie plus moderne de la Tunisie en bénéficierait davantage que celle du Maroc. Les effets sociaux (créations d’emplois) et environnementaux sont également jugés positifs.

 

Effets macro-économiques présumés de l’ALECA

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Si elle se confirme, cette évolution positive contrasterait avec les résultats souvent critiqués de la première phase de libéralisation. Les réductions tarifaires déjà réalisées ont entraîné des pertes de recettes douanières pour les finances publiques (en Tunisie, de 1996 à 2010, environ 3% du PIB), ce qui était prévisible. Par contre, on attendait une stimulation du développement industriel, qui ne s’est pas encore concrétisé. En Tunisie, la part des industries manufacturières dans le PIB a baissé de 5 points entre 1990 et 2013 (de 22 à 17%). Les fermetures d’usines, l’aggravation du chômage des diplômés, l’amplification du déficit de la balance commerciale, ont laissé penser qu’il n’était pas possible de développer l’industrie dans le contexte du libre-échange.

Par ailleurs, l’UE est qualifiée d’hypocrite dans sa défense des quatre libertés qui n’inclut pas celle des personnes.

D’après Houdaigui, si l’intensification des échanges ne répond pas aux espérances, c’est en raison de problèmes structurels non résolus, détecté dès le lancement des accords d’association. L’insuffisante compétitivité des économies des pays du Maghreb, notamment de l’Algérie, « qui ne dispose pas d’entreprises fonctionnant suivant les normes internationales », les rend malhabiles à profiter de l’ouverture du marché communautaire. Il faut aussi incriminer la faiblesse de l’intégration économique entre les trois pays, qui font peu d’échanges entre eux (2 à 3%) et se perçoivent plus comme concurrents que complémentaires. Le commerce intermaghrébin ne représente que 3.5% de leur PIB (contre 26% pour les échanges régionaux en Asie orientale et en Amérique du nord). Il est entravé par des obstacles politiques, le protectionnisme et la faible connectivité des transports terrestres.

En fait, le Maghreb doit résoudre des problèmes structurels de modernisation des économies et des sociétés. Bien qu’ayant des taux de croissance assez élevés (4% en moyenne au cours de la dernière décennie), il est handicapé par des faiblesses profondes, que le FMI synthétise en comparant défavorablement l’évolution de sa productivité par tête avec celle des pays d’Asie [16]. Ainsi, l’UMA a perdu plus de la moitié de son poids économique relatif dans le monde entre 1980 et 2012, de 2 à moins de 0.5% [17] et craint de continuer à perdre du terrain.

L’intégration dans le marché unique

À terme, ce qui a été proposé dans le cadre de la PEV vise à l’intégration des pays du voisinage dans le marché unique européen, à l’exemple du régime le plus avancé, dont bénéficient les pays membres de l’Espace économique européen (EEE). Ceux-ci doivent adopter l’intégralité du marché unique sans avoir la possibilité d’en négocier la règlementation et de participer au fonctionnement de la Cour de Justice de Luxembourg. Si la pêche et l’agriculture ne font pas partie de l’accord EEE, c’est à leur demande.

Reste à savoir si les pays du Maghreb ont intérêt à devenir des membres passifs du marché unique, sans la perspective d’adhésion qui reste offerte aux pays de l’AELE. Dans ce cas, au lieu de l’agriculture, ils devraient protéger d’autres secteurs de leur industrie ou de leurs services. La question est encore controversée au Maroc et en Tunisie et n’a pas encore été vraiment débattue en Algérie. L’exemple de cette dernière montre que son relatif isolement ne lui a pas apporté de prospérité. Poussée par les négociations commerciales internationales et la pression de l’OMC, l’ouverture n’aurait donc pas d’alternative et celle négociée avec l’UE serait moins aléatoire qu’une libéralisation généralisée des échanges.

C’est le choix accepté par les pays candidats d’Europe centrale au cours des années 1990. Au vu de la faible compétitivité de leur économie, ils auraient pu négocier des périodes de transition beaucoup plus longues. Ils ne l’ont pas fait et n’en ont pas manifesté de regret. En 1996, en acceptant d’entrer dans une union douanière avec l’UE, la Turquie prenait un risque de même nature. Si la forte croissance qu’elle a connue au cours des années 2000 ne peut pas lui être entièrement attribuée, l’Union y a certainement contribué. La preuve a été faite qu’une économie méditerranéenne affectée par d’importants retards structurels (ce qui est aussi le cas du Maghreb) pouvait affronter une intensification de la concurrence.

Est-ce la solution ? Après plusieurs années de tentatives d’adoption du marché unique, va-t-on réaliser que cela va au-delà des capacités d’adaptation des économies maghrébines (du moins de celles du Maroc et de la Tunisie, qui auront tenté l’exercice), qu’il faut un système d’intégration moins contraignant et des délais plus importants ?

La logique territoriale

Elle découle de la continuité géographique, plus affirmée pour le Maghreb que pour les autres PSEM. Elle concerne un assez grand nombre de politiques communes, dont l’efficacité globale implique la participation des pays du voisinage. C’est à l’évidence le cas de l’environnement : comment dépolluer efficacement la Méditerranée sans le concours des PSEM ? On peut y ajouter la politique des transports, la politique maritime intégrée et ce qui se fait au niveau européen en aménagement du territoire.

Il s’agit aussi de l’extension aux pays du voisinage des instruments de politique régionale qui contribuent à la « cohésion territoriale », en principe de l’UE seule, mais en fait de ses abords : pays de l’EEE, Suisse, candidats et un certain nombre de pays de la PEV, dont ceux du Maghreb, qui sont éligibles à des programmes de coopération transfrontalière (Tunisie) et transnationale (sur le bassin méditerranéen).

L’environnement

C’est un des domaines où la coopération inter-méditerranéenne est la plus ancienne, puisque le Plan bleu y travaille depuis le début des années 1970, avec la publication de diagnostics et de plans d’action. La mise en œuvre d’une politique communautaire de l’environnement et d’un éventail de directives concernant la qualité des eaux et la gestion du littoral ne peut se limiter à la rive nord. Pour être efficace, elle doit impliquer tous les pays riverains et notamment le Maghreb, qui possède la plus grande longueur de littoral sur la rive sud.

Les diagnostics réalisés ont mis en évidence le coût de la dégradation (3.6 à 3.7% du PIB pour l’Algérie et le Maroc) et l’aggravation des problèmes en raison de la faiblesse des moyens financiers, de l’absence de priorité politique et de coopération sur ce thème entre les PSEM.

L’objectif de l’UE est d’aligner la politique des PSEM sur celle de l’Union, en estimant que ce qui a été fait, ou doit être fait sur la rive nord est aussi bon pour le sud. Le Plan d’Action pour la Méditerranée, adopté en 2005, doit garantir la cohérence des politiques mises en œuvre sur les deux rives, avec un appui communautaire en assistance technique (TAIEX, LIFE, programme cadre de recherche) et en aide financière. En fait, le déséquilibre est profond entre les dotations disponibles dans les États membres méditerranéens (budget nationaux abondés par les fonds structurels, beaucoup de régions littorales étant prioritaires pour le FEDER) et dans les pays du Maghreb. Cependant, des objectifs ambitieux ont été établis dans le cadre du projet HORIZON 2020.

Les transports

Les pays du Maghreb ont accueilli favorablement le projet UE d’extension aux PSEM de sa politique de développement des réseaux transeuropéens de transport. Elle a donné lieu à un premier accord lors de la réunion des ministres responsables à Marrakech dès 1995 sur une carte des axes prioritaires au niveau de l’ensemble Europe et Méditerranée. Cette carte a été régulièrement révisée depuis dans le cadre des stratégies régionales établies par le groupe EUROMED. Pour le Maghreb, elle concerne les « autoroutes de la mer », le lien fixe Espagne-Maroc, l’autoroute trans-maghrébine et la modernisation du réseau ferroviaire.

Dans le projet global des «  autoroutes de la mer », ce qui concerne plus particulièrement le Maghreb est la mise en place de liaisons intermodales de transport de fret à travers la Méditerranée et entre les pays du Maghreb eux-mêmes. Cependant, ceux-ci sont encore faiblement impliqués dans la mise en œuvre, faute de l’identification de projets prioritaires [18].

Le lien fixe Espagne-Maroc : le projet a été présenté à la réunion du Conseil d’association Maroc-UE d’octobre 2014. Long de 38 kilomètres, le tunnel ferroviaire pourrait être achevé en 2025. Le projet sera financé par les deux pays concernés, l’Union européenne et des organismes privés.

Le projet d’autoroute trans-maghrébine (3000 km d’Agadir à Tripoli, qui desservira 55 villes et plus de 50 millions d’habitants) aurait dû être achevé en 2011. Il est en cours de réalisation par tronçons au Maroc, en Algérie et en Tunisie avec un appui ponctuel de la BEI, de la BERD et de l’UPM.

La modernisation du réseau ferroviaire est à l’ordre du jour dans les trois pays avec des études de faisabilité sur un réseau TGV.

Dans le cadre du statut avancé, le Maroc et la Tunisie sont invités à appliquer la politique communautaire et à ouvrir leurs marchés. Pour le Maghreb, cette orientation vise d’abord le transport aérien, invité à faire partie de l’« espace aérien commun européen », ce qui revient à adopter les normes internationales de l’OACI et la législation de l’UE. Le Maroc est déjà bien avancé dans cette voie, suivie par la Tunisie. La Commission dispose d’un mandat pour entamer ces négociations avec l’Algérie, l’objectif étant de parvenir à un accord multilatéral unique. Il en va de même pour les autres modes de transport (notamment maritime), mais avec un degré d’urgence moins important, puisqu’il n’existe pas de connexion directe Maghreb-Europe pour le transport terrestre.

La coopération transfrontalière et transnationale

La coopération transfrontalière
Dès le début des années 1990, avec la création de l’initiative communautaire INTERREG s’est posé le problème de la coopération aux frontières externes de l’UE, y compris les frontières maritimes. À cet effet, des dotations du Fonds européen de développement régional (FEDER) ont été attribuées aux régions concernées, initialement sans possibilité de financement européen de l’autre côté de la frontière, puisque les fonds structurels ne peuvent être utilisés en dehors du territoire communautaire. Cette disposition a permis à l’Andalousie, à Ceuta et à Melilla de recevoir un peu de FEDER pour développer leurs zones frontalières (niveau départemental NUTS 3) au titre d’INTERREG, en supplément des dotations importantes déjà allouées à leurs programmes de développement régional.

Mais la coopération ne pouvait s’engager sans des dotations communautaires symétriques de chaque côté, comme il en existait déjà aux frontières internes de l’UE, ce qui a impliqué une harmonisation des règles de gestion qui n’a pas été facile à réaliser [19]. En 1995, la Commission a décidé d’affecter une partie du programme PHARE aux régions situées au contact de l’UE dans les pays candidats d’Europe centrale, mais ne l’a pas fait avec MEDA (2000-2006), qui aurait dû dégager une dotation supplémentaire à Rabat en faveur des régions du nord Maroc. Depuis 2007, avec la création de l’instrument européen de voisinage (IEV), les règles de gestion ont été rendues compatibles, et plusieurs programmes de coopération transfrontalière ont été lancés, qui ont été poursuivis ou amplifiés sur la période en cours 2014-2020.

Espagne-Maroc

En 2000-2006, l’Espagne avait reçu 172 M€ du FEDER (INTERREG) pour le développement de ses zones frontalières avec le Maroc. Mais aucun financement européen (MEDA) n’avait été obtenu pour la Maroc, ce qui n’avait pas permis à la coopération transfrontalière de démarrer.

Elle aurait dû le faire en 2007-2013 : la Commission avait prévu deux programmes (126M€ dont 94 M€ pour l’Espagne), l’un de part et d’autre du détroit de Gibraltar (couvrant une partie de l’Andalousie, Ceuta et Melilla, ainsi que plusieurs provinces marocaines du nord) et l’autre, dénommé « Atlantique  » pour les Canaries et des provinces marocaines du sud (dont trois appartenant au Sahara occidental).

En fait, le programme n’a été mis en œuvre que du côté espagnol (pour 125M€, dont 94.4 M€ de FEDER) essentiellement en Andalousie (78% de la dotation FEDER). La question du Sahara occidental s’est révélée un obstacle politique déterminant : le Maroc a exigé l’inclusion de plusieurs de ses provinces sahariennes et l’UE ne pouvait l’accepter. Pour la période en cours 2014-2020, elle a préféré ne pas tenter à nouveau l’expérience.

Le programme transfrontalier Italie/Tunisie [20] est une innovation de la période 2007-2013, sur un groupe de régions siciliennes et nord-tunisiennes : au total 6.1 millions d’habitants sur 27200 km², dont fait partie l’agglomération de Tunis, pour un financement européen de 25.2 M€. Le programme a quatre secteurs prioritaires : la filière agro-alimentaire, la pêche, le tourisme et la culture, qui occupent une place importante dans les activités économiques des deux zones participantes. Ce programme a été renouvelé pour la période 2014-2020, avec un budget total de 33 millions d’€, dont la moitié pour la Tunisie, dont la zone éligible a été agrandie.

La coopération transnationale

À des degrés divers, les pays du Maghreb ont été conviés à participer à des programmes de coopération transnationale inter-méditerranéenne. Sur la période 2007-2013, seule la Tunisie a accepté de participer au programme couvrant la plus grande partie du bassin méditerranéen, le Maroc ayant refusé et la Libye et l’Algérie n’ayant pas donné suite. Au titre du « grand voisinage », la Mauritanie a été associée au programme Macaronésie (Açores, Madère, Canaries), qui a prévu 24M€ pour la coopération avec les pays tiers (Cap Vert et Mauritanie [21]), qui sera poursuivie en 2014-2020, éventuellement avec la participation du Sénégal.

De l’avis de la Commission, la mise en œuvre de ces programmes dans les pays du voisinage a rencontré de nombreuses difficultés de gestion, qu’elle espère parvenir à surmonter grâce aux modifications règlementaires introduites pour la période 2014-2020 :

à cet effet a été lancé un programme « Mid-atlantique », qui inclut l’Andalousie et les îles Canaries (pour l’Espagne), Gibraltar (Royaume-Uni), Madère et l’Algarve pour le Portugal et une dizaine de provinces marocaines, dont une partie du Sahara occidental, ce qui risque de reproduire les difficultés expérimentées dans le passé avec le transfrontalier Espagne-Maroc. Le budget prévu pour 2014-2020 est de 100M€, dont la moitié pour le Maroc.

les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye) sont aussi inclus dans le programme Méditerranée (budget 2014-2020 : 210M€ dont la moitié pour les PSEM).

Du point de vue du Maghreb, l’enjeu principal est dans l’efficacité de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée. À ce titre, les grands forums lancés au niveau de l’ensemble du bassin ont donné des résultats très limités : trop de participants (UPM), trop de politique (incidence des différents conflits, notamment dans le bassin oriental), pas assez de technique (où des actions plus concrètes auraient pu développer le consensus). Il convient donc de suivre la réflexion en cours sur l’identification d’espaces géographiques plus pertinents, par exemple la segmentation du bassin en trois macro-régions : la première a déjà fait l’objet d’une stratégie au centre (espace adriatique et ionien [22]), mais le Maghreb n’y participe pas, en attendant deux autres à élaborer pour les bassins occidental et oriental.

Bien que l’antagonisme algéro-marocain n’ait rien perdu de sa gravité et que les perspectives de coopération avec la Libye soient provisoirement très réduites, le développement d’une coopération transnationale limitée au bassin occidental semble offrir de meilleures opportunités. Elle pourrait s’appuyer sur les thèmes de la croissance bleue, dont l’amélioration de la gouvernance maritime, l’interconnexion des réseaux de transport et d’énergie, l’élévation de la qualité environnementale et le tourisme durable (potentiel important en Algérie et sur la côte marocaine méditerranéenne).

Le programme de développement régional du nord-Maroc
En compensation à l’annulation du programme transfrontalier au Maroc, l’UE a financé un programme de développement en faveur des zones rurales où intervient l’Agence de promotion du Nord [23].

Si l’avenir de cette région est un enjeu important pour le Maroc, en raison de sa grande pauvreté (environ la moitié de la moyenne nationale en PIB/h), il l’est également pour l’UE du fait de sa proximité avec l’Espagne et de l’importance de la culture du cannabis (estimée à ¼ de la superficie agricole, soit 106000 ha en 2004, dont il resterait au moins 60000 ha en 2011). Le programme d’un coût total de 24 M€ (dont 19 M€ de fonds communautaires 2011-2013) permettra aux zones rurales de se moderniser (diversification de l’agriculture et appui aux groupes sociaux les plus fragiles) et donc de trouver des revenus alternatifs au cannabis.

Dans les 728 à 890M d’€ alloués au Maroc pour la période 2014-2017, le nord-Maroc bénéficiera d’une contribution communautaire au titre de l’accès équitable aux services de base.

La politique maritime intégrée

Les pays du Maghreb partagent avec l’UE des espaces méditerranéens et aussi de larges espaces atlantiques (du fait de la proximité des Canaries avec le sud-marocain et le Sahara occidental). Une estimation leur accorde une superficie de plus d’un million de km² de Zones économiques exclusives (ZEE), importantes pour l’économie européenne, qui exploite déjà une partie de leur potentiel, notamment dans les zones de pêche utilisées par les Espagnols (Atlantique) et les Italiens (Méditerranée).

Les 5 pays du Maghreb sont signataires de la convention UNCLOS sur le droit de la mer (seule la Libye ne l’a pas encore ratifiée). Comme la plupart des pays méditerranéens, ils n’ont pas encore procédé à la délimitation de leurs ZEE, qui prennent de l’importance avec le développement des techniques de forage en eaux profondes. La définition de ces frontières maritimes représente une source de conflits potentiels, en raison de l’étroitesse de la Méditerranée et des interprétations divergentes entre les pays riverains (par exemple entre le Maroc et l’Espagne au sujet des Presidios [24]).

 

Estimation de la superficie de la ZEE au Maghreb

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Une convention de gestion intégrée des zones côtières a été signée à Barcelone en 1978, révisée en 1995. Le protocole correspondant a été adopté en 2008 par presque tous les pays riverains de la Méditerranée et est entré en vigueur en 2011. Le Maroc l’a signé et ratifié, l’Algérie et la Tunisie seulement signé. Il doit assurer un aménagement respectueux de l’environnement. Un plan d’action 2012-2019 a été adopté en 2012, qui assurera la convergence entre les objectifs établis des deux côtés de la Méditerranée.

L’UE veut associer ses partenaires méditerranéens à la promotion d’une « gouvernance maritime intégrée  » : planification de l’espace maritime, gestion intégrée des zones côtières, intégration des efforts de recherche et surveillance maritime conjointe.

Dans le domaine du développement économique, il s’agit de stimuler les activités portuaires : le commerce extérieur des trois pays du Maghreb transite presque intégralement pas la voie maritime (90%), mais les ports sont anciens, faiblement conteneurisés, ce qui les place en décalage croissant par rapport aux normes de la logistique moderne. Trois projets modernes sont en cours d’élaboration : Tanger Med au Maroc, Djendjen près de Jijel en Algérie et Enfidha au sud de Tunis. Les trois ports de Tanger Med, Bejaia (Algérie) et Radès (Tunisie) ont été sélectionnés en vue de leur intégration dans le réseau d’« autoroutes de la mer » mis au point par l’UE.

L’UE propose aussi de faire participer les pays du Maghreb à la mise en œuvre de plusieurs politiques communes :

Protection de l’environnement et du patrimoine maritime, dont la lutte contre la pollution : extension de la politique communautaire à la rive sud de la Méditerranée, mise en œuvre du « plan bleu » ;

Améliorer la sûreté et la sécurité en mer (formation de groupes de travail, participation à des opérations initiées dans le cadre communautaire)

Promouvoir la croissance bleue et l’emploi (soutien au développement économique des zones littorales).

Contrairement au Moyen-Orient, où la sécurité maritime est affectée par l’activité de pirates (détroit de Bab el Mandeb), de groupes terroristes (péninsule du Sinaï, à proximité du canal de Suez), ou des tensions internationales (détroit d’Ormuz), les côtes du Maghreb, aussi bien en Méditerranée que sur l’Atlantique, restent très sûres. Il n’en reste pas moins nécessaire de se préoccuper de la sécurité du détroit de Gibraltar.

La logique sécuritaire

La logique de l’espace unique européen impliquait la mise en œuvre de politiques communes en matière de gestion des ressortissants des pays tiers (immigration, asile, libre circulation) et de coopération en matière de justice et police. Les États membres ont mis beaucoup de temps à « communautariser » ces sujets sensibles et n’y sont pas encore complètement parvenus. Il en résulte, en dépit de l’importance des besoins, une pratique restrictive en matière d’immigration et de coopération police/justice.

La mise en œuvre de la politique de Liberté, Sécurité, Justice est assurée avec l’appui de plusieurs agences spécialisées : EUROPOL (coopération policière), EUROJUST (coopération judiciaire pénale), l’Agence des droits fondamentaux (lutte contre les discriminations), FRONTEX (contrôle des frontières externes) et le Bureau européen d’appui en matière d’asile.

Les questions migratoires

Contrairement à ce qui se passait au début du Marché commun, quand la libre circulation des personnes était inséparable des « quatre libertés », elle fait l’objet depuis le milieu des années 1970 de restrictions importantes et durables entre les deux rives de la Méditerranée.

Depuis la mise en œuvre de la libre-circulation entre les États membres (accords de Schengen), la gestion des flux en provenance des pays tiers n’est plus possible dans le cadre national. Les traités signés depuis 1991 ont donc développé des compétences communautaires dans le cadre de la politique de « liberté, sécurité et justice  », qui a pour objectif d’assurer le contrôle des migrations aux frontières externes de l’UE dans le respect du droit : Charte des droits fondamentaux, Convention de Genève de 1951 et protocole de 1967 sur la protection et l’accueil des réfugiés.

Les orientations de la politique de l’UE sont définies par des programmes quinquennaux : Tampere (1999-2004), La Haye (2004-2009) et Stockholm (2009-2014), en attendant celui de 2015-2020 en préparation.

Au cours des dernières années, la gestion des flux migratoires a pris une importance croissante dans la gestion de la PEV, dont la version révisée en 2011 a développé un trade off entre l’attribution d’un nombre accru de visas aux ressortissants des pays de départ ou de transit, en échange de la signature et de la mise en œuvre d’accords de réadmission des migrants illégaux. En 2000, dans les accords de Cotonou (qui s’appliquent à la Mauritanie en tant que membre du groupe ACP), une clause de maîtrise des flux migratoires a été introduite.

En tant que zone d’émigration fortement orientée vers l’Europe, le Maghreb est particulièrement concerné par l’évolution de cette politique : il est le principal réservoir migratoire de plusieurs pays d’Europe occidentale (France, Belgique, Espagne, Italie). Plus récemment il est devenu un espace de transit pour les migrants illégaux originaires de l’Afrique subsaharienne.

Un potentiel élevé

Depuis les indépendances (et bien avant en ce qui concerne l’Algérie), les pays du Maghreb sont devenus des foyers d’émigration en direction de la France, puis d’un nombre grandissant de pays européens. Cette évolution s’est accentuée avec la croissance démographique et le maintien d’un écart de revenu important entre le Maghreb et l’Europe. Jusqu’au début des années 1970, les besoins en main d’œuvre des pays européens ont permis d’absorber une grande partie des candidats à la migration. Elle s’est ensuite ralentie, avant de connaître une forte reprise au cours des années 2000. Ensuite, avec le ralentissement de la croissance en Europe, un écart important s’est créé entre la taille du « réservoir migratoire » des pays maghrébins et la capacité d’absorption du marché du travail européen. En raison de sa faible densité de population et de l’abondance de ses ressources pétrolières, aussi longtemps qu’elle est restée stable, la Libye a été dans la situation inverse de pays d’immigration.

 

Evaluation des migrants maghrébins déjà installés dans l’UE

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Sur les 5 millions d’émigrés maghrébins, 87% résident dans l’UE, ce qui marque une polarité bien affirmée par rapport au groupe PSEM élargi [25], où seulement 37% des migrants sont installés dans l’Union. Cette polarité est particulièrement forte pour les Algériens et les Marocains, un peu moins pour les Tunisiens (qui étaient nombreux en Libye) et pas du tout pour les Mauritaniens qui se sont dirigés en grande partie vers l’Afrique de l’ouest. À l’exception des Tunisiens, les Maghrébins sont peu attirés vers les pays du Golfe. On observe cependant une diversification des pays d’installation : dans l’UE, la part relative de la France est en baisse et on assiste à une forte croissance des départs vers l’Amérique du nord (dont le Canada), qui accueille les migrants les plus qualifiés.

La pression migratoire est d’abord le résultat de l’évolution démographique. En dépit de la baisse du taux de fécondité, les pays du Maghreb doivent gérer les effets de la très forte croissance des décennies précédentes, la présence de classes d’âge pléthoriques à la recherche d’un emploi : au Maroc, les 20-25 ans ont atteint leur maximum en 2005, ce qui a été le cas en 2010 en Algérie et en Tunisie. L’économie n’a pas créé assez d’emplois pour assurer leur insertion, la pression étant accrue par le désir ou le besoin de nombreuses femmes d’âge actif de travailler. Cette population a bénéficié des progrès de l’éducation, dont les résultats sont plus quantitatifs que qualitatifs [26]. Mais les jeunes mettent deux à trois ans à trouver un emploi et le taux de chômage des diplômés est plus élevé que la moyenne [27] : suivant une enquête EUROSTAT, au Maroc 24% des personnes possédant un diplôme seraient au chômage, contre 9% des non-diplômés. Un rapport de l’OIT de mai 2013 prévoit plus de 15 millions de chômeurs à l’horizon 2017.

 

Maghreb : quelles données démographiques

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation J-F Drevet

Au flux évalué par les Nations unies s’ajoute un nombre bien plus important de migrants potentiels. Les pourcentages de jeunes souhaitant quitter le Maghreb sont très élevés : 76% en Tunisie suivant une enquête de 2005, les changements politiques intervenus depuis 2011 et les perturbations économiques qui en ont résulté ayant fortement accru la pression migratoire.

Les migrations apportent un flux important de ressources financières aux pays de départ. Suivant la Banque mondiale, ils ont représenté 6.5 milliards de $ pour le Maroc (6.8% du PIB) et 2.3 milliards de $ pour la Tunisie (5.0% du PIB), le flux concernant l’Algérie (213 millions de $) étant très au-dessous de la réalité [28] et la Mauritanie n’ayant pas fourni de données [29]. À l’inverse, la Libye a versé 2 milliards de $ à ses travailleurs migrants en 2012.

Entre le transit et l’installation
La région n’est plus seulement une salle d’attente pour migrants. Au cours des années récentes et bien qu’on ne dispose que de données fragmentaires, le Maghreb est devenu pour les arrivants de l’Afrique subsaharienne une région d’immigration (ce qui n’est pas nouveau pour les oasis du sud). Dans une population en séjour irrégulier, il est difficile de distinguer ceux qui veulent aller plus loin de ceux qui souhaitent rester.

Le Maroc reçoit un petit nombre d’immigrants (80000 résidents réguliers en 2012) et un nombre bien plus important de clandestins originaires d’Afrique subsaharienne, en grande partie en transit vers l’Espagne. C’est pourquoi il occupe une position-clé dans la régulation des migrations vers l’UE.

L’Algérie reçoit des immigrants réguliers, chinois dans la construction et indiens dans l’industrie métallurgique. Ceux de l’Afrique subsaharienne sont des irréguliers (72000 sont refoulés chaque année aux points de passage avec le Mali et le Niger), mais le nombre des personnes installées est inconnu. Philippe Fargues les estime plus nombreuses que la population en transit. L’Algérie est aussi le pays d’accueil des réfugiés sahraouis (90000h vivent dans des camps autour de Tindouf) ;

La Tunisie a attiré des immigrants africains (étudiants, employés de la Banque africaine de développement lors de son transfert d’Abidjan à Tunis) et reçoit une partie des migrants de l’Afrique subsaharienne qui ont transité à travers la Libye. La majorité d’entre eux souhaite continuer vers l’Europe et cherche à passer en Italie. En 2011, s’y est ajouté une population importante de Tunisiens candidats à l’émigration irrégulière vers l’UE, le flux s’étant progressivement réduit, de 28000 harragas en 2011 à moins de 5000 en 2012.

Pays d’immigration depuis les découvertes pétrolières, la Libye a connu une politique assez fluctuante (avec des phases d’expulsions brutales), qui n’a pas été sans conséquence sur les pays voisins, sans compter les effets de sa situation chaotique actuelle. Après avoir favorisé l’immigration en provenance des pays arabes (notamment d’Égypte et de Tunisie), elle s’est tournée vers les pays africains. On ne sait pas quelle proportion des 2.5 millions d’immigrés présents en Libye avant la chute de Kadhafi y sont restés, et on ne sait pas à combien s’élève la population en transit, qui alimente une immigration clandestine non maîtrisée vers l’Italie.

Après avoir été au cours des années 2000 un pays de transit pour les immigrants illégaux désireux d’entrer dans l’UE par les Canaries, la Mauritanie accueille actuellement une importante population de réfugiés chassés des pays voisins par les conflits.

 

Les immigrants légaux au Maghreb

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation : J-F Drevet

Les sans-papiers
Les candidats à l’entrée dans l’UE se concentrent près de Ceuta et Melilla. Étant les seules frontières terrestres entre le Maghreb et l’UE, elles ont été mises sous pression et équipées de grillages presque continus pour empêcher les infiltrations (à Melilla, les 12 km de grillage n’ont pas empêché 14000 intrusions en 2014 [30]).

Les « sans-papiers » utilisent davantage la voie maritime. Le passage vers les Canaries, à partir du Cap Vert, de la Mauritanie et du Sénégal a été très utilisé jusqu’en 2007. Il est aujourd’hui moins pratiqué, grâce à la mise en œuvre de mesures de contrôle impliquant tous les pays riverains. Les détroits de Gibraltar et de Sicile (les îles de Pantelleria et Lampedusa ne sont pas très éloignées des côtes tunisiennes) sont les points de passage les plus recherchés et une nouvelle voie s’est ouverte entre l’Algérie et la Sardaigne. Le principal pays de départ est actuellement la Libye, en raison du chaos qui y règne.

En 2013-2014, l’opération Mare nostrum actionnée par l’Italie avait permis de recueillir 150000 personnes en mer, avec un pull effect sur l’organisation des migrations clandestines, par des réseaux de passeurs bien organisés et très rentables (1000$ en bateau de pêche, 5000$ en zodiac pour une traversée à partir de la Libye [31]), qui a entraîné en octobre 2014 l’abandon par l’Italie de cette opération, jugée coûteuse et inefficace du point de vue de la maîtrise des migrations, en dépit de son bilan humanitaire positif [32].

Cependant, la majorité des migrants illégaux originaires du Maghreb n’entre pas dans l’UE de cette manière, mais par « overstay  ». Ils restent en Europe alors que leur visa a expiré : le Ministère français de l’Intérieur estime que 90% des étrangers en situation irrégulière sont entrés légalement en France.

Le dilemme de la gestion des flux migratoires

Face à ces problèmes, la mise en œuvre d’une politique adéquate entre les deux rives de la Méditerranée ne va pas de soi, les relations dans ce domaine étant dominées par la méfiance et le chacun pour soi.
Les pays de départ ont estimé qu’ils avaient assez à faire chez eux pour ne pas s’occuper de leurs migrants. À l’exception de la Libye jusqu’en 2011, ils ont fermé les yeux sur l’émigration clandestine, en refusant de conclure des accords de réadmission ou en ne faisant pas d’effort pour appliquer ceux qu’ils avaient signé (acceptant à la rigueur de réadmettre leurs nationaux, mais pas les migrants en transit).

De leur côté, les États membres se sont focalisés sur une logique de limitation, sinon de refoulement des arrivants, éventuellement au détriment de leurs partenaires de l’UE, en réclamant toujours plus de mesures restrictives. Ils ont à regret décidé de confier à l’UE des compétences minimales, dans l’espoir faire appliquer la politique qu’ils n’étaient plus capables de mettre en œuvre. Leur souci majeur est de limiter les arrivées sans trop se préoccuper du sort des migrants ;

Avec des compétences de plus en plus étendues sur le papier, mais toujours assorties de nombreuses limitations dans la pratique, l’UE fait son possible pour gérer les flux en défendant la mise au point d’une politique globale (Global Approach to Migration and Mobility, GAMM [33]), dans le respect des conventions internationales que presque tous les États membres ont signé et dans la recherche de l’efficacité, avec l’avantage d’être moins exposée que les gouvernements nationaux aux surenchères anti-migratoires des partis d’extrême droite.

La Commission estime qu’une politique migratoire ne peut fonctionner valablement sans la coopération des pays de départ ou de transit, ce qui implique la négociation d’accords ad hoc et un minimum de confiance mutuelle pour les appliquer. Avec plus ou moins d’enthousiasme, cette approche est maintenant partagée par plusieurs pays de départ, notamment ceux du Maghreb, convaincus par l’afflux de migrants d’Afrique subsaharienne de durcir leur politique migratoire et de prendre leur part dans la régulation des flux.

Afin de concilier des intérêts contraires, la Commission développe le « partenariat pour la mobilité », un document cadre, juridiquement non contraignant, qui doit servir de support à des accords bilatéraux, notamment en matière de réadmission des migrants illégaux. Ce partenariat a été conclu avec le Maroc (juin 2013), premier PSEM à l’accepter, puis avec la Tunisie (novembre 2013) [34].

Quand ils ne l’ont pas déjà fait, les pays de départ s’engagent dans une politique de réadmission (non seulement de leurs nationaux, mais aussi des migrants en transit) en échange de facilitation de visas, notamment pour les courts séjours, suivant la pratique déjà développée dans le cadre de la PEV, mais assortie de dispositions légales et humanitaires destinées à améliorer l’accueil des migrants et à assurer un exercice effectif du droit d’asile pour ceux qui y sont éligibles, éventuellement en finançant des centres de rétention au sud de la Méditerranée.

Une partie importante de l’opinion dans les pays de départ [35] et des organisations d’accueil aux migrants dans les pays d’arrivée (la CIMADE) ont dénoncé le contenu de ces accords, en les jugeant excessivement restrictifs, sinon répressifs. Ils estiment que l’UE cherche à reporter sur les pays du voisinage la lutte contre l’immigration illégale et qu’elle ferme les yeux sur les lacunes juridiques et les mauvais traitements infligés aux migrants originaires d’Afrique subsaharienne dans les pays du Maghreb.

En 2015, l’aggravation du problème dans le bassin oriental de la Méditerranée a entraîné un détournement des flux, une partie des clandestins maghrébins trouvant avantage à profiter du bas coût des billets d’avion vers la Turquie [36] et de l’absence de visa pour tenter leur chance à travers les Balkans. Il en résulte une baisse de la pression dans le bassin occidental, dans un contexte d’aggravation des problèmes de gestion des flux migratoires pour l’UE dans son ensemble, le système de quotas institué par la Commission à la fin de 2015 se heurtant à l’opposition résolue de plusieurs États membres. La situation politique des pays du Maghreb, à l’exception de la Libye, tend à exclure leurs ressortissants du bénéfice du droit d’asile.

La lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée

Le programme de Stockholm recommande l’élaboration d’une stratégie de sécurité intérieure de l’UE, en vue d’améliorer la protection des citoyens et la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Il s’agit de renforcer la coopération policière et judiciaire en matière pénale, qui met l’accent sur la lutte contre la criminalité transfrontalière, notamment la traite des êtres humains, les abus sexuels, l’exploitation sexuelle des enfants et la pornographie enfantine, la cybercriminalité, la criminalité économique, la corruption, la contrefaçon et la piraterie, les stupéfiants.

Vis-à-vis des pays tiers et notamment du Maghreb, l’évolution du contexte politique a renforcé un glissement déjà observé dans la gestion de la PEV depuis 2003, en donnant la priorité aux questions d’ordre public, avec une forte sensibilité à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Comme dans la maîtrise de l’immigration, la coopération inter-méditerranéenne est devenue une condition de l’efficacité des actions entreprises :
Dans la mesure ou l’immigration illégale est favorisée par le développement de réseaux de trafic des êtres humains, elle fait l’objet de mesures de coopération policière avec les pays de départ ou de transit ;

Compte tenu de l’importance de la production dans le Rif, le Maroc occupe une position importante dans les trafics de drogue et les délits qui en résultent, les autres pays du Maghreb étant moins concernés. À cet effet, comme indiqué plus haut, l’UE finance des programmes de développement dans le nord-marocain, destinés à fournir des alternatives à la culture du cannabis ;

La pression du terrorisme s’est accentuée à partir des années 1990 en Algérie, les réseaux s’étant ensuite diffusés dans tout le Maghreb avant de devenir très actifs au Sahara.

La réponse européenne a été formulée au niveau du Conseil, donc dans le cadre de la coopération intergouvernementale. Si un coordinateur a été nommé pour assurer la cohérence des diverses actions engagées au niveau européen et par les États membres, il n’existe pas de véritable politique commune, qui créerait, par exemple, un FBI européen. Les échanges d’information entre les ministres de l’Intérieur de l’UE s’étendent à leurs collègues des pays du Maghreb, chaque pays restant maître de ses interventions. Dans l’ensemble, ce qui contraste avec les problèmes rencontrés avec la Turquie, la coopération entre les polices de l’UE et celles des trois pays associés est généralement considérée comme de bon niveau, comme l’ont bien montré les renseignements fournis à la France par le Maroc après les attentats de Paris du 13 novembre 2015.

Le Maghreb et la politique étrangère européenne

Dans la formulation de ses relations extérieures, l’UE a toujours souligné qu’elle tiendrait compte de la capacité de ses partenaires à se conformer au droit international : respect des conventions initiées par les Nations unies et établissement de bonnes relations bilatérales, afin de ne pas développer des conflits de voisinage. Si la conformité aux objectifs de la Politique étrangère commune est obligatoire pour un pays candidat, elle n’est qu’une option pour les pays associés.

D’une manière générale, à l’exception du Sahara occidental, les pays du Maghreb n’ont pas de conflit de frontières et leurs relations de voisinage sont relativement stables. Ils auraient dans ce domaine un comportement international beaucoup plus conforme au droit international que les PSEM du Mashrek (où les conflits sont nombreux) et la Turquie, qui ne se distingue pas par la qualité de ses relations de voisinage.

Le « statut avancé  », tel qu’il a été accordé au Maroc en octobre 2008 et en voie d’adoption par la Tunisie, implique un renforcement du dialogue et de la coopération politique : sommets réguliers, participation aux opérations européennes de gestion de crises, coopération parlementaire (dont un statut d’observateur à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe).

Bien que la réputation du Conseil de l’Europe et plus particulièrement de la Cour de Justice de Strasbourg ne soit plus à faire en matière de surveillance des droits de l’homme et que le Maroc ne soit pas un exemple en la matière, son gouvernement cherche à s’en rapprocher. Un bureau du Conseil de l’Europe [37] a été ouvert à Rabat et le Maroc affirme son intention d’adhérer aux conventions en matière de coopération judiciaire. Comme dans d’autres domaines, ces initiatives visent à consolider la position du Maroc, en tant que « front runner » de la politique de voisinage.

L’UE et le conflit du Sahara occidental

Comme nous l’avons vu plus haut, sur de nombreux thèmes, le problème de la souveraineté sur le Sahara occidental, en tant que pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc, nuit aux relations intermaghrébines et perturbe les relations Maghreb-UE. Il entrave la coopération régionale dans le bassin occidental de la Méditerranée et pourrait accroître les menaces existant par ailleurs (terrorisme, AQMI), en empêchant les pays concernés de développer une approche commune.

Bien qu’ancien, puisque l’annexion par le Maroc de l’ancien Sahara espagnol remonte à 1975, le conflit qui en a résulté avec l’Algérie (qui soutient la « République arabe sahraouie démocratique (RASD)  », émanation du mouvement indépendantiste POLISARIO [38]) n’a pas trouvé de solution.

Le Maroc contrôle 80% du territoire du Sahara occidental et la quasi-totalité de son potentiel économique aussi bien terrestre que maritime, puisqu’il n’y a presque pas d’activité dans les 20% de désert contrôlés par le POLISARIO, qui n’exerce son contrôle que sur la population sahraouie réfugiée en Algérie et installée dans des camps autour de Tindouf.

Mais Rabat n’a pas obtenu de reconnaissance de sa souveraineté. Pour l’UE comme pour ses États membres, « le Sahara occidental est un territoire non autonome et le Maroc est de fait la puissance administrante [39] », ce qui exclut en principe son territoire du bénéfice des accords UE/Maroc et des prêts de la BEI. Assez démuni sur le terrain, le POLISARIO n’est pas sans appuis dans l’UE, aussi bien à Madrid (ancienne puissance coloniale) qu’à Stockholm, où s’est développée une controverse avec Rabat, qui a entraîné des mesures de rétorsion de part et d’autre, au Maroc (suspension de l’ouverture d’un magasin IKEA) et en Suède (désengagement des investisseurs suédois de l’Office chérifien des Phosphates).

Ainsi, l’accord agricole et de pêche entre l’UE et le Maroc entré en vigueur en septembre 2014 a été annulé par la Cour de Justice de Luxembourg, sur une requête du POLISARIO [40], parce qu’il incluait le Sahara occidental. Après l’avoir rejeté en décembre 2011, le PE l’avait finalement approuvé en décembre 2013, à la condition que les aides versées par l’UE bénéficient aussi aux Sahariens, ce qui n’est pas le cas des phosphates de Bou-Craa. De source sahraouie, le revenu tiré par le Maroc de leur exploitation, non seulement n’apporterait pas grand-chose à la population locale, mais représenterait dix fois le montant de l’aide allouée aux réfugiés installés en Algérie. L’UE ayant fait appel, une nouvelle décision de la Cour de Justice est attendue ; pendant ce temps, l’accord reste d’application.

L’ONU (MINURSO) a reçu mandat de préparer un référendum d’autodétermination qui n’a jamais pu être organisé. Bien qu’elle n’ait pas offert ses bons offices, l’UE souligne régulièrement la nécessité d’une solution, afin d’assurer la normalisation des relations algéro-marocaines.

Les divergences

En fait, la politique étrangère de chacun des pays du Maghreb est basée sur des positionnements différents, parfois divergents qui reposent sur des tendances très anciennes.

L’Algérie a longtemps gardé ses distances avec l’UE : elle a voulu affirmer ses dimensions non-européennes, en privilégiant les relations avec les non-alignés, l’Union africaine, l’URSS et les pays arabes. Elle reste donc réservée, sinon méfiante vis-à-vis des initiatives européennes : faible consommation des aides, participation réduite aux concertations EUROMED, une certaine rancune vis-à-vis de la position de plusieurs États membres favorables au Maroc dans le conflit saharien. Cette attitude a conduit à un isolement relatif, aujourd’hui perçu comme un handicap, l’Algérie ayant particulièrement souffert du terrorisme au cours des années 1990. Celui-ci représente encore une menace directe, comme on a pu le constater lors de l’attaque du gisement de gaz d’In Amenas, ce qui explique son attitude plus ouverte vis-à-vis des opérations antiterroristes dans le nord-Mali. En attente de transition politique, elle n’est pas en mesure de revoir sa politique étrangère dans l’immédiat.

Au contraire, le Maroc est traditionnellement dans une perspective divergente, son ouverture économique ayant été imposée à la France par les accords d’Algésiras en 1906 et son tropisme transatlantique remontant à la rencontre Roosevelt-Mohammed V à Anfa en janvier 1943. Rabat n’a laissé passer aucune occasion de se rapprocher de l’UE. Le Maroc est toujours favorable à une extension des relations et preneur des statuts les plus avancés. Sa coopération avec les non-alignés, avec la Ligue arabe est minimale, il n’est pas membre de l’Union africaine.

La Tunisie est dans une situation intermédiaire. Si son tropisme européen est dominant, elle est plus ouverte vers l’est, donc mieux articulée avec les pays du Mashrek. Elle est plus « étatique » que le Maroc et donc moins naturellement encline à l’ouverture économique. L’avenir dira quelle orientation le gouvernement issu des dernières élections donnera à son pays.

Le Forum ouest-méditerranéen (dialogue 5+5)

L’idée a été lancée par l’Italie au cours de sa présidence tournante du deuxième semestre de 1990, en invitant à Rome les cinq pays du Maghreb avec trois autres États membres (Portugal, Espagne, France) pour un dialogue politique informel. Une autre réunion s’est tenue en 1991, sans suite. Puis le processus a repris en 2001 à Lisbonne avec pour objectif d’approfondir le processus de Barcelone. Depuis cette date, des rencontres presque régulières se tiennent au niveau des ministres des Affaires étrangères, avec la participation occasionnelle de la Commission, Romano Prodi ayant été présent au 1er sommet tenu à Tunis en décembre 2003. Un deuxième sommet a été organisé par Malte en octobre 2012, avec la participation d’un représentant de la Commission.
Le Forum méditerranéen compte maintenant 5 États membres avec Malte depuis 2004, d’où sa dénomination de « dialogue 5+5 ». Il avait aussi été question d’inviter la Belgique, la Grèce, l’Égypte, sans succès jusqu’à présent. Cette coopération a donné lieu à de nombreux contacts entre les ministères techniques dans un cadre intergouvernemental : intérieur, affaire sociales, défense, tourisme, transport, éducation et environnement. Ce sont les dossiers de la défense et des transports qui ont le plus progressé.

Les réunions de ministres ne sont pas régulières ; il n’y a ni secrétariat permanent ni cadre de coopération formel, comme cela existe, par exemple pour la Communauté des pays de la mer Noire (BSEC) [41]. Actuellement il n’est pas prévu, bien que certains pays y soient favorables, d’institutionnalisation du 5+5, qui définirait les pays participants et un programme de coopération, éventuellement dans le cadre communautaire. En décembre 2015, la rencontre ministérielle de Tanger a fait le point des nombreuses actions en cours. En termes pratiques, beaucoup de progrès sont réalisés, parce que la coopération dans le bassin occidental ne rencontre pas les obstacles politiques qui abondent dans la partie orientale et qu’il y a moins de partenaires que dans l’UPM. 

Orientations futures

Sur le fond, les pays du Maghreb ne disposent pas d’une marge d’action illimitée. Les tentatives de l’Algérie et de la Libye de valoriser leur dimension arabe et africaine n’ont pas donné les résultats escomptés. Bien que située sur le versant sud du Sahara, la Mauritanie n’attend pas beaucoup d’opportunités de son appartenance à la CEDEAO et au groupe ACP.

Tout en proposant à tous une reprise de l’acquis communautaire, l’UE a suivi une politique asymétrique : elle a offert l’union douanière, puis une perspective d’adhésion à un État en grande partie asiatique, la Turquie, tandis que les pays du Maghreb réputés non-européens n’ont pas vocation à rejoindre l’UE.

Au Maghreb, le dilemme est entre plus ou moins de coopération avec l’UE. Même avec un peu d’atlantisme pour diversifier leurs partenaires et un peu d’arabisme pour rassurer leur opinion, il n’y a pas beaucoup de moyens de s’écarter d’une orientation préférentiellement paneuropéenne.

Dans cette optique, le rapprochement en cours avec le Maroc et la Tunisie devrait s’étendre à l’Algérie, quand elle aura la possibilité de réajuster sa politique étrangère. Il n’en va pas de même de la Libye et de la Mauritanie :
La Libye est à la fois du Maghreb (en Tripolitaine) et du Mashrek (en Cyrénaïque), sans compter son importante dimension saharienne (au Fezzan) ;

Les frontières de la Mauritanie touchent au fleuve Sénégal, où réside une grande partie de sa population : son identité culturelle arabophone ne fait pas oublier son appartenance au Sahel.

Aussi longtemps que le Maghreb ne bénéficie pas de la démocratie, il n’y a pas de place pour un saut qualitatif dans le rapprochement. Il en irait différemment si au moins l’un de ces pays (la Tunisie ?) devenu pleinement démocratique, remplissant les critères de Copenhague auxquels la Turquie refuse actuellement de se plier et se présentait comme un candidat valable, comme avant lui les pays européens libérés de leurs dictatures.

Les instruments financiers

Après une longue période de gestion de protocoles financiers bilatéraux (avant 2000), l’UE a mis en œuvre un instrument spécifique pour les PSEM, le programme MEDA (2000-2006). Avec la création de la PEV a été lancé un nouvel instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) pour la période 2007-2013, auquel vient de succéder l’Instrument européen de voisinage (IEV) pour la période en cours 2014-2020. À la suite de la révision de la PEV en 2011 et pour concrétiser la conditionnalité démocratique (« more for more »), le programme additionnel SPRING a été mis en place pour la période 2011-2013. En 2013, le Maghreb en a reçu la plus grande part : la Tunisie vient en première place (55M€) suivie par le Maroc (48M€). L’Algérie vient loin derrière (10M€) et la Libye n’aura que 5M€.

En euros par habitant et par an, les montants engagés sont assez modiques : en 2007-2013, 10.2€ pour la Tunisie, qui bénéficie du « more for more  », 6.3 pour le Maroc et 1.4 pour l’Algérie (moyenne Maghreb 4.5€), alors qu’un pays candidat comme la Turquie reçoit 11€ et les régions éligibles à l’objectif de convergence des fonds structurels communautaires bien davantage (164 €).

 

UE. Interventions de l’instrument de voisinage au Maghreb

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation : J-F Drevet

Le nouvel instrument de voisinage (IEV) pour 2014-2020 a des priorités plus politiques : renforcer les droits de l’homme et les libertés fondamentales, réaliser l’intégration progressive dans le marché intérieur de l’UE, créer des conditions propices à la bonne gestion de la mobilité, encourager le développement et promouvoir l’instauration d’un climat de confiance (contribuant à la sécurité, à la prévention et à la résolution des conflits) et enfin améliorer la coopération régionale (dont la coopération transfrontalière). Les montants indicatifs avancés pour la période en cours ne sont pas plus élevés qu’avant (4 à 5€/h/an pour le Maghreb, avec une faveur pour la Tunisie (9.3 à 11.4), 5.6 à 6.8€ pour le Maroc et pas grand-chose pour l’Algérie (0.8 à 1€).

Dans le cadre ACP, la Mauritanie est un peu mieux traitée : elle devait recevoir 209.3M€ sur la période 2007-2013 et aura un peu moins sur 2014-2020 (195M€). Nouakchott reçoit des fonds pour améliorer la gouvernance, les infrastructures, l’intégration régionale et la lutte contre la pauvreté. Elle représente un partenaire important de l’UE dans le domaine de la pêche. Le nouveau protocole, paraphé le 10 juillet 2015, prévoit l’accès de la flotte européenne aux eaux mauritaniennes, pour un total autorisé de 281500 t/an. En plus des captures payées par les pêcheurs européens, l’UE consacrera 59 millions d’€ à ce partenariat, dont 4 millions € pour les pêcheurs mauritaniens.

4. Trois questions transversales

Au cours des dernières années, les questions politiques ont pris plus d’importance, notamment parce que l’intégration économique n’a pas progressé autant qu’on l’avait espéré. Il en résulte une concentration sur des points sensibles, qui le sont d’autant plus que l’évolution interne des pays concernés est plus incertaine que dans le passé (Algérie, Tunisie) ou que le chaos s’est substitué à la dictature (Libye).

La dépendance énergétique

Elle est perçue dans le cadre des relations avec l’Algérie et pour le moment d’une manière assez simplifiée : comment importer plus de gaz algérien, notamment en cas de rupture de l’approvisionnement en gaz russe.

L’UE est dépendante à 66% d’importations de gaz naturel, qui couvrent plus du quart de ses besoins énergétiques totaux. La Russie compte pour 39% des importations de gaz de l’UE. 6 États membres dépendent uniquement de la Russie (les trois pays baltes, la Finlande, la Bulgarie et la Slovaquie) et en volume, l’Allemagne et l’Italie sont les deux principaux importateurs. Les difficultés avec Moscou rendent nécessaire l’identification d’autres fournisseurs, les ressources nouvelles découvertes dans le bassin oriental de la Méditerranée n’étant pas disponibles avant la fin de la décennie.

Réduire cette dépendance implique la création de nouvelles infrastructures [42] pour faciliter les importations et la circulation du gaz entre les États membres (flux rebours), afin de pouvoir faire appel à des fournisseurs alternatifs, dont pourraient faire partie l’Algérie et la Libye en raison de leur proximité géographique. Actuellement, ils ne représentent que 22% des importations.

Après 5 années de négociations, un accord de partenariat stratégique concernant l’énergie a été signé en juillet 2013 avec l’Algérie.
Il correspond au souhait de l’UE de sécuriser ses importations de gaz algérien et à celui de l’Algérie de conserver ce bon client dans un contexte de concurrence accrue sur le marché international. L’attaque terroriste d’In Amenas de janvier 2013 a accentué la volonté de l’Algérie de parvenir à un accord, qui porte sur l’ensemble du secteur énergétique (non seulement le gaz, mais aussi l’intégration des réseaux électriques du Maghreb avec l’Europe, le développement des énergies renouvelables et le nucléaire civil).

Cependant l’accord n’a pas résolu un problème : comme la Russie avec GAZPROM, l’Algérie est opposée à l’unbundling (séparation des activités de transport et de commercialisation du gaz) et voudrait que la SONATRACH puisse distribuer directement ses produits sur le marché européen

En outre, l’Algérie aura-t-elle assez de gaz disponible pour exporter vers l’UE ? Sa production globale plafonne : 127.2 milliards de m³ en 2013. L’état des réserves est controversé (entre 2000 et 4500 milliards de m³ suivant les sources), le chiffre les plus souvent donné étant 3000 milliards. Les gisements les plus anciens sont en déclin : Hassi R’mel, qui apportait 75 milliards de m³ en 2008, est tombé à 55 milliards en 2012.

En 2017, la consommation locale (70 milliards de m³) pourrait dépasser les exportations (50-55 milliards de m³). En effet, elle doit satisfaire une forte croissance de la demande d’électricité et les subventions n’encouragent pas les économies d’énergie.

En octobre 2014, le ministre algérien a annoncé que la production de gaz augmenterait de 40% dans les 5 ans à venir et doublerait d’ici 10 ans [43]. Avec la construction de nouveaux gazoducs, l’UE pourrait bénéficier d’une capacité d’approvisionnement supérieure à 100 milliards de m³/an, dont au moins la moitié en provenance d’Algérie.

 

Capacités des gazoducs Maghreb-Europe

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation : J-F Drevet

Au niveau global, qui ne concerne pas que l’Algérie, la Commission propose « un dialogue commercial et politique renforcé avec les partenaires d’Afrique du nord et de l’est de la Méditerranée [44], en vue, notamment, de créer un hub gazier méditerranéen dans le sud de l’Europe. [45] »

La montée en puissance des dimensions atlantique et saharienne

Par rapport à la vision classique méditerranéenne du Maghreb, l’évolution récente fait émerger une conception plus large, qui englobe une grande partie des 5 pays du « grand Maghreb » et donne une importance grandissante à leurs dimensions atlantique et saharienne.

La dimension atlantique

Si la France, l’Espagne et le Portugal n’ont jamais perdu de vue que le Maroc avait une façade atlantique, l’UE s’est traditionnellement focalisée sur la dimension « tellienne » du Maghreb, en tant que péninsule presque entièrement incluse dans le bassin occidental de la Méditerranée et membre du groupe des PSEM. L’absence de coopération avec la Libye et l’appartenance de la Mauritanie au groupe ACP ont accentué cette polarisation.

À Bruxelles, les problèmes de cette zone de l’Atlantique sont traités en liaison avec les régions qualifiées d’« ultrapériphériques » (RUP), catégorie limitative qui inclut les archipels ibéro-atlantiques (Açores, Madère et Canaries) et les DOM français, avec des avantages particuliers et quelques dérogations justifiées par leur position géographique. S’ils sont ultrapériphériques pour l’UE, ces archipels ne le sont pas vraiment vis-à-vis de l’Afrique du nord-ouest, ce qui est une source de problèmes (l’immigration clandestine) autant que d’opportunités (l’exploitation des ZEE, dont la pêche). Une autre Direction générale assure la gestion de la politique européenne de la pêche, dont la signature d’accords spécifiques avec la Mauritanie et le Maroc (y compris le Sahara occidental, qui double la longueur des côtes atlantiques marocaines), afin d’assurer des débouchés aux pêcheurs européens.

L’émergence de problèmes nouveaux (immigration clandestine, lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme) ont fait émerger d’autres préoccupations, accroissant l’importance de la façade atlantique. L’UE a négocié un « partenariat privilégié » avec l’archipel du Cap Vert (accord de réadmission, coordination des actions anti-drogue), qui lui donne un statut proche des pays éligibles à la PEV. Au nom du « grand voisinage », le Cap Vert et la Mauritanie sont associés depuis 2007 aux programmes de coopération transnationale des trois archipels RUP.

La dimension saharienne

Ce que les géographes arabes appelaient « djezireh al maghreb » (l’île du couchant), est aujourd’hui bien moins insulaire que dans le passé, pour autant qu’elle l’ait vraiment été. L’évolution des techniques (véhicules tout-terrain, géolocalisation) permet aujourd’hui de traverser assez facilement le désert, même à travers les régions autrefois les plus répulsives. Le trafic transsaharien n’est plus dépendant des conditions naturelles comme il l’avait été pendant des siècles. Il en résulte une intensification sans précédent de la circulation des personnes et des marchandises et de graves menaces sur la sécurité et la stabilité des États sahariens.

Le temps n’est plus où quelques pelotons de méharistes pouvaient assurer le maintien de l’ordre sur les 4.3 millions de km² qui vont de l’Atlantique au Soudan. Après les indépendances, chaque pays a repris l’administration de ses régions sahariennes, sans y réaliser d‘importants investissements, compte tenu de la faiblesse de la population et de l’isolement. À l’époque, le désert était encore une barrière, entre l’Afrique du nord et l’Afrique occidentale (au contraire de l’Afrique nilotique, où le fleuve assure la liaison). La mise en valeur étant limitée à quelques ressources minières au Sahara occidental (phosphates), en Mauritanie (fer), en Algérie (pétrole et gaz) et au Niger (uranium), l’espace était encore relativement facile à contrôler.

Face aux nouvelles menaces induites par l’évolution technologique, les États du Sahel et même du Maghreb sont en partie désarmés [46]. Plus récemment, l’effondrement de la Libye a entraîné une réduction des transferts d’épargne des travailleurs migrants originaires du Sahel, la circulation incontrôlée d’armes, l’intensification des mobilités clandestines et la criminalisation des trafics transsahariens.
En 2011, le Service européen d’action extérieure (SEAE) a publié une communication [
47] qui fait le point des actions et des intentions de l’UE, en vue de la mise au point d’une stratégie commune pour accroître la sécurité et le développement du Sahel.

Si elle s’adresse en priorité aux pays de l’Afrique subsaharienne (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso et Tchad), la communication concerne tout autant les pays du Maghreb en ne citant que le Maroc, l’Algérie et la Libye, omettant la Tunisie et éventuellement l’Égypte (dont la péninsule du Sinaï) et le Soudan, qui ont aussi une partie importante de leur territoire au Sahara et sont tout autant menacés par le terrorisme, ce qui a amené le Conseil Affaires étrangères du 17 mars 2014 à élargir la zone potentielle d’intervention [48].

Cette préoccupation qui remonte à 2008 [49], a fait l’objet de nombreuses discussions au Conseil. La stratégie proposée, qui résulte de missions d’information en Mauritanie, au Mali, au Niger et en Algérie, vise à améliorer la gouvernance (qui laisse beaucoup à désirer dans l’ensemble des territoires sahariens), à apporter une réponse transnationale à une menace de même nature, à rétablir la sécurité et l’État de droit, ainsi qu’à prévenir et à combattre l’extrémisme et la radicalisation. Elle souligne l’impact sur l’UE de ces problèmes, en termes d’immigration clandestine, de développement de la criminalité organisée et du terrorisme, citant nommément l’AQMI comme adversaire principal.

L’UE soutient les initiatives déjà prises en Mauritanie (stratégie nationale contre le terrorisme et loi anti-terroriste) et la création d’un commandement conjoint à Tamanrasset en avril 2010 (Algérie, Niger, Mali, Mauritanie). 150 M€ de ressources supplémentaires ont été mises à disposition du Mali, de la Mauritanie et du Niger (rien au nord du Sahara, 200M€ étant déjà présumés y agir dans le cadre de cette stratégie). Depuis 2012, la dégradation de la situation au nord-Mali a amené l’UE à intervenir directement, à la suite de l’armée française.

Il n’est pas douteux que des interventions plus importantes seront nécessaires dans l’avenir, jusqu’à ce que les pays concernés aient réussi à établir une gouvernance efficace dans leurs régions sahariennes. Compte tenu de l’ampleur des menaces, des opportunités offertes par les ressources déjà exploitées ou à découvrir, les pays du Maghreb ont avantage à accroître leurs investissements dans ce domaine et l’UE à leur apporter l’aide technique et financière adéquate pour y contribuer. L’action plan correspondant pour 2015-2020 a été adopté par le Conseil en avril 2015. Il souligne la nécessité d’actions coordonnées en matière de sécurité et de développement économique et social.

Il n’est pas pour autant démontré que ces pays doivent appartenir à la même catégorie que les pays du voisinage. On ne les voit pas en convergence réglementaire avec l’UE, ni même susceptibles de nouer les relations qui découlent de la proximité géographique. Leur participation à l’une ou l’autre politique commune, justifiée par des considérations d’ordre public ou de sécurité n’est pas destinée à s’étendre à un large éventail de politiques européennes.

Le déficit démocratique

Tous les documents de coopération établis par les institutions européennes soulignent la nécessité d’améliorer la gouvernance et de développer des institutions démocratiques. Ceux qui concernent le Maghreb ne font pas exception à la règle, avec une insistance accrue depuis le renversement de Ben Ali en janvier 2011 et les événements qui ont suivi dans d’autres pays arabes.

Or les pays du Maghreb ne sont pas très avancés dans ce domaine. Selon les critères établis par différentes ONG, ils se classent dans la deuxième moitié de la liste et parfois parmi les pays les moins avancés, mais leur performance est en constante évolution.

Une évaluation du comportement des pays concernés est effectuée régulièrement par la Commission avec le concours de diverses ONG. Bien que les classements soient encore assez éloignés des standards européens, on observe des progrès sensibles mais fragiles, notamment en Tunisie, qui situent le Maghreb nettement en avant des pays du Mashrek.

 

Performances démocratiques des pays du Maghreb

Cliquer sur la vignette pour agrandir le tableau. Réalisation : J-F Drevet

Depuis le lancement du processus de Barcelone (1995), bien que les PSEM ne soient pas des candidats assujettis aux critères de Copenhague [50], ceux-ci sont de plus en plus souvent repris dans les documents de coopération. Pendant longtemps, leur rappel a été sans conséquence, car il n’existait pas de véritable démocratie [51]. Faute de mieux, l’UE se contentait de rappeler les bons principes et de financer quelques ONG contestataires.

Depuis la mise en œuvre de la PEV, l’impératif démocratique a pris une importance nouvelle. Dans sa communication initiale, la Commission a souligné la nécessité du processus, en parallèle avec l’ouverture économique. En 2011 [52], l’UE a voulu aller plus loin que les recommandations sans grand effet qui abondaient dans les communications antérieures, en parvenant à une véritable conditionnalité en fonction de l’état de la démocratie. À cet effet, la Commission a proposé un « soutien ciblé à la mutation démocratique », « un partenariat étroit avec la population », notamment un appui à la société civile, que les régimes déchus avaient découragée, en offrant un supplément à l’existant (« more for more », programme SPRING).

La tactique de l’UE est de faire adhérer les pays de la PEV aux multiples conventions signées à l’initiative des Nations unies ou du Conseil de l’Europe, puis d’en faire une évaluation attentive et régulière. Même si elles ne sont pas respectées, elles représentent des objectifs qui sont régulièrement rappelés à leurs signataires.

L’UE se situe dans un processus d’exportation de ses valeurs démocratiques qui peut entrer en contradiction avec les objectifs d’autres organisations internationales dont font partie les pays du Maghreb. Ceux-ci sont membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), seule organisation internationale basée sur la religion, qui compte 57 États membres. Son Secrétaire général est saoudien et son siège à Djeddah. Il se trouve que l’OCI conçoit les droits de l’homme dans le cadre de la sharia. Or, dans un arrêt de 2003, la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg a clairement indiqué que la sharia était incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie [53].

S’il est difficile d’apprécier la portée de l’adhésion à cette déclaration, en contradiction avec de nombreux aspects du droit en vigueur dans les pays musulmans, elle pourrait servir de base à des interprétations juridiques tout à fait opposées à la Charte de droits fondamentaux adoptées par l’UE et justifier d’innombrables violations de celle-ci.

À court et à moyen terme, l’UE a peu de chances de se départir de l’approche pragmatique qui l’a guidée jusqu’à présent et qui est accentuée dans la communication du SEAE de novembre 2015. Indépendamment de la qualité de la démocratie au sud de la Méditerranée, la géographie impose des relations privilégiées aux deux parties, notamment au Maghreb qui n’a pas d’alternative. Pour l’UE, des politiques appliquées en commun sont nécessaires pour réduire la dépendance énergétique et indispensable pour assurer la sécurité face au problème de l’immigration illégale et aux menaces du crime organisé et du terrorisme. Cela n’empêche pas de travailler à l’émergence d’institutions plus respectueuses des droits de l’homme et du citoyen et de favoriser les plus avancés.

Conclusion

Au cours des deux dernières décennies, l’Union européenne a opéré une large diversification de ses interventions en direction des PSEM et plus spécifiquement de deux pays du Maghreb, le Maroc et la Tunisie. Le temps n’est plus où la CEE se limitait à la gestion des échanges. Bien que son rôle ne soit pas toujours apparent, l’UE apporte une contribution implicite, mais croissante à la configuration sur le long terme des espaces qui la bordent les rives sud de la Méditerranée et à celle de l’Afrique du nord-ouest.

La diversification de ces interventions s’effectue dans le cadre d’organisations multiples et complexes, où le Maghreb n’occupe pas une place très importante : l’Union pour la Méditerranée (UPM) a 43 membres et pas moins de 16 pays sont éligibles à la politique de voisinage (PEV).

Dans la coopération inter-méditerranéenne une distorsion croissante se dessine entre les deux grands bassins de la Mer intérieure.

Les perspectives de coopération inter-méditerranéennes dans le bassin oriental sont devenues aléatoires, du fait de l’attitude agressive de la Turquie, de l’absence de solution au conflit israélo-palestinien, et de la montée de nouvelles menaces liées à l’extension de l’islamisme. Confrontée à l’impasse dans la négociation d’adhésion avec la Turquie, à l’absence de solution politique à Chypre et à l’instabilité croissante des pays de la région, l’UE a bien du mal à aider ses États membres (notamment la Grèce et Chypre) à défendre leur sécurité.

Si le bassin occidental n’est pas préservé de ces menaces, il les subit cependant à un moindre degré. Sauf au Sahara occidental, les frontières des pays du Maghreb sont stabilisées et les cinq pays ne sont pas contestés dans leur existence même, comme le sont plusieurs pays du Moyen-Orient. Contrairement au Mashrek, leur géographie et l’orientation de leurs échanges induisent une relation privilégiée avec l’UE, pour laquelle ils n’ont pas d’alternative.

Du fait de leur tradition politique et de la libéralisation de leurs économies, elle est aujourd’hui en progrès avec le Maroc et la Tunisie, qui s’acheminent vers le « statut avancé » qui en fera progressivement des partenaires plus proches de l’UE. Cette voie est aussi ouverte pour l’Algérie, en fonction du degré de transformation qu’elle voudra apporter à son économie. Elle pourrait être offerte à la Libye, bien que sa situation politique actuelle l’apparente plutôt aux pays les plus instables du Mashrek. Reste à définir le statut ultérieur de la Mauritanie, en fonction de ce qui a été dit plus haut quant à la montée en puissance de la dimension saharienne et atlantique dans le grand Maghreb.

En conséquence, en termes de coopération UE-Maghreb, il faudrait s’interroger sur les potentialités d’une intensification des relations dans le bassin occidental, dans un cadre à privilégier, par exemple le 5+5, qui regrouperait les pays les plus motivés sur des projets à dimension territoriale et sécuritaire. Si cette coopération devait s’accroître, faudrait-il l’insérer dans le cadre communautaire, en tant qu’espace privilégié de coopération transnationale, avec des perspectives qui ne seraient pas offertes aux autres PSEM ?


 [1] L’émergence d’une politique globale méditerranéenne a été défendue par Edgard Pisani, alors Commissaire européen chargé du Développement (1981-1985).

[2] Review of the European Neighbourhood Policy, joint communication (SWD(2015) 500 final), Bruxelles, le 18 novembre 2015, 21p.

[3] Jean-François DREVET, Quelle nouvelle politique européenne de voisinage ? www.diploweb.com

[4] Voir Isabel Schäfer, Entre idéaux et intérêts : les nouvelles perspectives françaises et allemandes sur le Maghreb, Visions franco-allemandes n°22, IFRI février 2013.

[5] À la fin des années 1980, la Yougoslavie avait noué des relations préférentielles avec l’UE qui auraient pu la mettre dans le peloton de tête des pays candidats. Alors que les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) sont devenus des États membres en 2004 et 2007, chacune de ses composantes, à l’exception de la Slovénie, a dû (la Croatie) ou doit encore cheminer lentement et péniblement sur la route de l’adhésion.

[6] En 1987, en réponse à sa candidature, le Conseil avait explicitement indiqué au Maroc qu’il ne répondait pas à la définition d’État européen (Décision du Conseil du 1er octobre 1987).

[7] Une seule unité était en charge de tous ces pays.

[8] Union pour la Méditerranée, Rapport d’activité 2014, 84p.

[9] Voir Rachid El Houdaigui, Les relations intermaghrébines, Futuribles-iReMMO, étude trimestrielle n°4, janvier 2014, Paris 23p.

[10] Quand elle était encore en union douanière avec la France.

[11] RASD : République arabe sahraouie démocratique

[12] Rachid El Houdaigui op. cit.

[13] En fonction de la norme imposée par l’Arabie saoudite (1000 pèlerins par million de croyants), le Maghreb serait à l’origine d’un flux annuel d’environ 80000 pèlerins, sans compter les Maghrébins expatriés en Europe.

[14] L’OMC ne publie pas de statistiques pour l’Algérie et la Libye.

[15] Kassim Bouhou, Le Maghreb dans son environnement régional et international, stratégie et présence économique des États-Unis au Maghreb, notes de l’IFRI, Paris, 2010, 32p.

[16] Shahid Yusuf, Middle East Transitions : a long, hard road (IMF Working paper 14/135, Washington, July 2014, 53p.). Cette étude couvre les six pays ayant connu des changements politiques depuis 2011 : Maroc, Tunisie, Libye, Égypte, Jordanie, Yémen et reprend les analyses effectuées antérieurement par le PNUD et la Banque mondiale.

[17] Abderrahmane Mebtoul, Les défis de l’intégration maghrébine face à la mondialisation (Bruxelles, 24 septembre 2013, 20p).

[18] Voir le rapport du coordinateur UE pour les autoroutes de la mer Luis Valente de Oliveira, ancien ministre portugais http://ec.europa.eu/transport/themes/infrastructure/ten-t-policy/priority-projects/doc/progress-reports/2012-2013/pp21_en.pdf

[19] Bien qu’il ne s’agisse que du budget communautaire, les règles d’intervention établies par le règlement financier UE entre les régions de l’UE (FEDER) et les pays tiers (programme MEDA pour le Maghreb) diffèrent sensiblement.

[20] Décision CE (2008)8275 du 16 décembre 2008.

[21] Le Sénégal sera aussi associé à partir de 2014.

[22] Communication de la Commission concernant la stratégie de l’Union européenne pour la région de l’Adriatique et de la mer Ionienne COM(2014) 357 final, 17 juin 2014.

[23] Sur un périmètre de 34750 km² avec 4.6 millions d’habitants, subissant un fort retard de développement.

[24] Les enclaves de Ceuta et Melilla, ainsi que quelques îles (Peñón de Vélez, Peñón de Alhucemas, les Chaffarinas) que l’Espagne possède sur la côte marocaine.

[25] PSEM + Turquie et Mauritanie.

[26] Voir l’évaluation de la Banque mondiale dans son rapport MENA 2008.

[27] Demain la Méditerranée, scénarios et projections à 2030, IPEMED, novembre 2011, 164p.

[28] En 2006, il a été estimé par l’IFAD (International Fund for Agricultural Development) à 5.4 milliards de $ soit 4.7% du PIB.

[29] En 2006 selon l’IFAD, la Mauritanie a reçu 103 millions de $, soit 3.9% de son PIB.

[30] Élise Vincent, Melilla, dernière barrière avant l’Europe, Le Monde du 29 novembre 2014.

[31] Le Monde du 21 octobre 2014, supplément Europa page 2.

[32] Le détroit est le point d’application du projet Closeye, lancé en avril 2013, avec des techniques les plus modernes (emploi de drones et de véhicules aériens sans pilote), afin de renforcer le SIVE (Système Intégré de de Surveillance Extérieure).

[33] Approche globale des migrations et de la mobilité, communication de la Commission, COM(2011)743 final du 18 novembre 2011.

[34] Déjà conclus avec le Cap Vert et les six pays du partenariat oriental.

[35] Voir le Document d’analyse du partenariat de Mobilité signé entre le Maroc, l’UE et neuf États membres le 7 juin 2013, par Réseaux euro-méditerranéen des droits de l’homme, février 2014, 18p.

[36] Phoebe Weston, dans le Daily Telegraph du 30 septembre 2015 : « Turkish Airlines doubled its seat capacity between 2011 and 2014 and Frontex suggested that the airline was fuelling the illegal migration crisis by opening new routes in Africa earlier this month. »

[37] Le Conseil de l’Europe a conclu 210 conventions dont 156 sont ouvertes aux pays non européens.

[38] POLISARIO : Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro fondé en 1973 en vue de mettre fin à la colonisation espagnole par l’établissement d’une république sahraouie indépendante.

[39] Stefan Füle, Commissaire en charge de la politique de voisinage, en réponse à une question parlementaire (octobre 2014).

[40] « La décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, est annulée en ce qu’elle approuve l’application dudit accord au Sahara occidental. » (Arrêt du Tribunal (8e chambre) du 10 décembre 2015).

[41] A BSEC (Black Sea Economic Community) a un Secrétariat permanent à Istanbul et une Banque de développement à Thessalonique.

[42] L’UE a identifié 27 projets dans le secteur du gaz (Stratégie européenne pour la sécurité énergétique (SWD(2014) 330 final, Bruxelles le 28 mai 2014.

[43http://www.econostrum.info/La-production-algerienne-de-gaz-va-augmenter-de-40-en-5 ans_a19117.html#ixzz3Hied482I

[44] D’importantes découvertes de gaz naturel en eau profonde ont été réalisées dans les ZEE d’Israël (Tamar et Léviathan) de Chypre (Aphrodite) et d’Égypte (Zohr).

[45] Stratégie européenne pour la sécurité énergétique (SWD(2014) 330 final, Bruxelles le 28 mai 2014).

[46] Sébastien Abis et Karine Bennafla, Afriqu‘Orient, des relations à explorer, Confluences Méditerranée n°90, été 2014, IREMO l’Harmattan, pp. 9-21.

[47] COM(201)331 du 8 mars 2011.

[48] “The Council invites … to extend the implementation of the Strategy to Burkina Faso and Chad while intensifying relevant activities in Mali, Mauritania and Niger. Political dialogue on conflict prevention and security issues in the Sahel region will be stepped up also in relevant West African and neighbouring countries including Senegal, Nigeria and Cameroon as well as countries of the Maghreb.”

[49] Elle a déjà fait l’objet d’un option paper (COREU SEC 750/09 du 7 avril 2009) et d’un joint paper (14361/10).

[50] « … avoir des institutions stables, garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection… »

[51] La démocratie israélienne étant critiquée pour son traitement des Palestiniens.

[52] Un partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée, COM (2011)200 final du 8 mars 2011.

[53] Arrêt de la Grande Chambre du 13 février 2003 : « la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictés par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, … les déclarations … qui contiennent des références explicites à l’instauration de la charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention européenne des droits de l’homme, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. (...) 

Jean François Drevet   04 mai 2016         Diploweb.com   La revue  géopolitique

…………………………………………………………………………………………………………………………..

TEXTE 5

Texte intéressant à lire, d’autant qu’il est accompagné de références qui pourront vous être utiles

 

Europe-Maghreb : un partenariat stratégique à construire

     Christian Cambon &  Josette Durrieu     Géoéconomie 2014/5 (n° 72),

Àla recherche d’économies dynamiques à fort taux de croissance et à bas coûts de production, les entreprises européennes et américaines portent leur regard au loin, principalement vers l’Asie. Ce mouvement, dont le « pivotement » stratégique des États-Unis est à la fois conséquence et illustration, paraît inexorable sur le long terme. Le Pacifique deviendrait ainsi l’épicentre du monde, en tout cas sur le plan commercial et politique comme le fut jadis la Méditerranée.

Pour autant, ce mouvement est-il exclusif d’un renforcement des liens avec l’espace proche ? L’Europe doit-elle se détourner de sa proximité géographique, et n’apprécier les pays de la rive sud de la Méditerranée que comme une menace de laquelle l’étanchéité croissante des frontières la protégerait ? Notre perception est fixée sur la réponse à des questions immédiates : le développement du terrorisme, la stabilité politique, les phénomènes migratoires, les trafics, etc. Cette vision étroite n’est-elle pas une partie du problème ?

Une autre perspective est envisageable. La Méditerranée est la seconde interface de l’Europe, vitale pour son approvisionnement en hydrocarbures ainsi que pour l’importation des produits venus d’Asie via le canal de Suez. Elle est la voie maritime la plus courte et l’une des plus utilisées entre l’Europe et l’Orient. Par leur position géographique, les États du Maghreb sont au carrefour de régions porteuses d’avenir à commencer par l’Afrique subsaharienne dont nombre d’experts prédisent qu’elle sera le continent du XXIe siècle. Ils sont, en outre, des partenaires commerciaux importants pour l’Europe. Malgré leurs fragilités politiques, ils réalisent des taux de croissance très supérieurs [1][1]En 2013 : Algérie : 2,7 % ; Maroc : 4,4 % ; Tunisie : 2,8 % ;… à ceux de la zone euro.

Compte tenu de ses atouts, et malgré ses faiblesses, la région doit être perçue par les Européens comme une formidable opportunité. Les États-Unis ont, de fait, relocalisé une partie de leur tissu industriel au Mexique, leur voisin du sud. Comme le remarque Jean-Louis Guigou : « l’industrie des États-Unis engendre près de deux millions d’emplois au Mexique, dont une part croissante sont des emplois qualifiés. Pourquoi ne pas faire la même chose avec l’Afrique du Nord ? [2][2]J.-L. Guigou, « Le Maghreb peut devenir le " Mexique " de… ».

La valorisation de ces atouts exige que, parallèlement, la stabilité soit progressivement assurée. Elle suppose la poursuite dans des conditions apaisées de la transition démocratique, la sécurisation de l’environnement et le renforcement des liens de voisinage. Autant de conditions dont la satisfaction appartient au premier chef, individuellement et collectivement, à ces États mais qui est aussi importante pour notre propre sécurité.

Néanmoins, la France et l’Europe ne peuvent se focaliser sur cette unique problématique, l’objectif est bien, grâce à une coopération renforcée, de conduire à une plus grande intégration des économies et à la constitution à long terme d’un ensemble dynamique fondé sur les complémentarités. Il est d’ailleurs le moyen le plus sûr de répondre aux risques d’instabilité. Le moment est venu d’une démarche volontariste et ouverte en ce sens. Même dans les eaux agitées, ne perdons pas de vue le cap.

Le Maghreb, une région à fort potentiel de développement (les atouts)

Le Maghreb possède de nombreux atouts pour réussir : sa position géographique très avantageuse entre l’Europe et l’Afrique ; sa démographie extrêmement dynamique et une population jeune et instruite. De plus, il possède des ressources énergétiques exportables et un potentiel touristique important qui n’est pas pleinement exploité. Enfin, une culture de l’État dans certains pays, notamment en Tunisie, au Maroc et en Algérie, a permis une certaine stabilité malgré les secousses politiques.

Une position géographique avantageuse

L’Union européenne (UE) est le premier partenaire commercial de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc. Le commerce avec l’UE représente environ 63 % du commerce tunisien, 54 % du commerce algérien [3][3]L’augmentation du commerce euro-algérien (5 % entre 2008 et… et 60 % du commerce marocain. Quant aux IDE, l’Europe concentre 65,5 % de l’investissement au Maghreb.

Mais bien plus encore, selon l’IPEMED [4][4]J.-L. Guigou, « Fédéralisme au Nord, régionalisme au Sud », in…, dans un contexte de « régionalisation » du monde poussée par la mondialisation, avec la création d’ensembles comme l’ASEAN, l’ALENA, le Mercosur ou l’UE, « au sud de l’Europe, en Méditerranée et en Afrique, la constitution d’une grande région réunissant les pays développés vieillissants à des pays de jeunes émergents se dessine ». Selon tous les experts économiques internationaux, l’Afrique est un continent qui verra son développement croître de manière fulgurante au cours des prochaines décennies. La France et l’Europe se doivent d’y être présentes et actives. Les liens économiques et culturels entre le Maghreb et l’Afrique se tissent aussi rapidement. Certains pays ont noué des relations fortes, tel que le Maroc avec les pays de l’Afrique de l’Ouest, et peuvent constituer un point d’entrée et un relais supplémentaire.

Pour favoriser une croissance dont les adjuvants internes sont devenus insuffisants, l’Europe a besoin d’un espace euro-méditerranéen qui associerait potentiellement sa population de 500 millions d’habitants à la population des pays riverains au sud et à l’est de la Méditerranée de 500 millions d’habitants, puis dans un second temps, tous bénéficieraient d’une grande région Europe-Méditerranée-Afrique, intégrant alors, d’ici 2050, plus de 2 milliards d’Africains, dont un quart seraient francophones. Dans cet axe vertical, qui correspond d’ailleurs à un même fuseau horaire, les États du Maghreb occupent une position stratégique cruciale.

Une jeunesse dont la formation doit être mieux orientée

Dans le domaine de l’éducation, les gouvernements du Maghreb ont, au cours des trente dernières années, largement investi et atteignent aujourd’hui de très bons résultats académiques. Les taux de scolarisation sont élevés, proches de 97 % en 2014. Le taux d’alphabétisation est aussi en augmentation dans la région, malgré des disparités entre les pays : la Libye ayant un taux très élevé d’alphabétisation (89 % en 2010), et le Maroc plus faible (67 % en 2014). Néanmoins, des efforts restent à réaliser dans ce domaine.

Une étude du BAFD démontre que le système éducatif des pays du Maghreb [5][5]BAFD - Note économique, Comment lutter contre le chômage des… souffre d’une distorsion entre la formation et les compétences exigées par le marché de l’emploi. En effet, un excédent d’étudiants se spécialise dans des matières dites « théoriques » tandis qu’il y a un manque d’étudiants dans les filières « techniques ». Il y a donc un déficit d’ingénieurs, de scientifiques et de techniciens, éléments essentiels de la croissance économique. Cette inadéquation entre système scolaire et monde du travail est en partie la cause du taux de chômage des jeunes si important dans le Nord de l’Afrique. Il est possible d’y remédier et l’Europe devrait produire davantage d’efforts dans ce domaine. Le développement de partenariats universitaires, l’installation dans les pays du Maghreb de filiales de nos groupes de grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, mais aussi une coopération plus intense en matière de formation initiale et professionnelle dans les domaines techniques, peuvent constituer une réponse. Le pôle d’excellence en matière de maintenance aéronautique installé à Casablanca fait figure d’exemple, associant co-localisations industrielles, prestations de services et formation professionnelle. Les projets d’implantation d’industries automobiles en Algérie et au Maroc procèdent d’un mode de développement similaire.

Ce développement pourrait s’appuyer aussi, grâce à leur bilinguisme, sur les immigrés de la seconde génération en Europe, globalement bien intégrés et dont certains parcours de réussite méritent d’être soulignés. Encore faut-il que l’atout d’une double culture ne se dilue pas ou que son accès soit réservé à une population originaire. C’est pourquoi il importe aussi dans ce dialogue des deux rives de renforcer l’apprentissage de l’arabe mais aussi des langues vernaculaires dans les pays européens.

Un réservoir énergétique à exploiter durablement

Les pays du Maghreb ont un potentiel considérable, tant en énergie fossile qu’en énergie renouvelable [6][6]Ils sont aussi parmi les premiers producteurs de phosphate et…. Ils représentent plus de 4 % de la production mondiale et des réserves connues. L’Algérie et la Libye se classent au 14e et 15e rang mondial des pays exportateurs de pétrole [7][7]Compte tenu de la situation de guerre civile, la production et…. L’Europe a importé plus de 11 % de sa consommation annuelle du Maghreb. Ils fournissent, notamment l’Algérie, plus de 15 % du gaz naturel à l’Europe. C’est un atout d’ordre stratégique pour un continent qui cherche à diversifier ses approvisionnements pour sortir de la dépendance du gaz russe après la crise ukrainienne.

Avec plus de 97 % de ses exportations issues des hydrocarbures en 2012, l’Algérie est certes très dépendante de ses ressources en hydrocarbures qui apportent 70 % des recettes au budget de l’État. Ces ressources lui ont permis de constituer des réserves de change dépassant les 190 Mds de dollars, mais le pays affiche tout de même un lourd déficit d’infrastructures et des industries peu compétitives qui peinent à vendre à l’étranger, faute d’accueillir les investissements étrangers. La progression de la consommation intérieure risque à terme de réduire ses marges de manœuvres, mais elle disposera d’un potentiel considérable en exploitant ses réserves de pétrole et de gaz de schistes.

Le potentiel de développement des énergies vertes (solaire et éolien) est tout aussi considérable. Les rendements solaires sont trois fois plus importants dans le Nord de l’Afrique qu’en Europe et le potentiel éolien est également très élevé. La part des énergies renouvelables continue à être faible, voire marginale dans les bilans énergétiques des pays du sud et de l’est méditerranéen, même si cette proportion a plus que doublé durant les trois dernières décennies. Toutefois, la capacité de production installée en énergies renouvelables, hors hydraulique, a fortement progressé ces trente dernières années, avec une croissance annuelle moyenne de 26 % [8][8]IPEMED, « Vers une communauté euro-méditerranéenne de…. Cette tendance tient à l’augmentation de la production électrique éolienne. Cela n’est pas suffisant au regard des potentialités et surtout la situation est paradoxale : les pays du nord de la Méditerranée sont les plus gros producteurs d’énergie renouvelable dans la région, alors que le potentiel se trouve plutôt dans le sud. Les États du Maghreb affichent la promotion des énergies renouvelables comme un élément essentiel de leur politique énergétique, mais les orientations sont souvent traduites en objectifs quantifiés et non obligatoires. De nombreux projets sont en cours de réalisation ou prévus [9][9]En éolien, les réalisations et les projets sont nombreux : le…: les ressources énergétiques (pétrole, gaz, soleil) sont concentrées sur la rive sud de la Méditerranée, les pays européens, essentiellement consommateurs, disposent des compétences humaines, de la technologie, de l’expérience et des moyens financiers. Cette distribution des richesses suggère la complémentarité, le travail en commun, la coopération, la solidarité.

Le Plan solaire méditerranéen, lancé en 2008 par l’Union pour la Méditerranée (UpM), semble répondre à cette préoccupation. Il devrait donner un coup d’accélérateur aux projets d’énergie solaire dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Une partie de cette énergie serait destinée à la consommation locale et une partie à l’exportation vers l’Europe, via des câbles sous-marins. La faible croissance en Europe, mais aussi les progrès en matière d’efficacité énergétique ont jusqu’à maintenant limité ces potentialités. Mais si l’on se projette à moyen et long termes, les pays du Maghreb deviendront de grands consommateurs d’énergie, en raison des besoins de leur population et ils devraient être certainement en mesure d’exporter une partie de l’électricité produite vers l’Afrique subsaharienne qui sera confrontée à l’accroissement de ses besoins et à la nécessité désormais incontournable d’associer développement et lutte contre le réchauffement climatique. La coopération énergétique entre l’Europe et le Maghreb a donc de beaux jours devant elle. Il est dommage qu’elle ne s’accompagne pas d’une politique plus audacieuse de partenariat industriel dans la construction et la fabrication des biens d’équipement énergétiques, qui se prêtent particulièrement au transfert de technologie (équipements solaires et éoliens). Dans la conception et la réalisation des projets, il faut veiller en permanence au renforcement des capacités industrielles, technologiques et scientifiques locales, si l’on ne veut pas que leur réalisation et l’accroissement des échanges se traduisent par une aggravation des inégalités entre le Nord et le Sud.

Des infrastructures à développer

Toutefois, pour rapprocher ces deux ensembles, l’espace méditerranéen, point de convergence entre l’Europe et le Maghreb, doit être exploitée plus efficacement. Malgré l’utilisation du transport maritime par les pays du Maghreb pour plus de 90 % de leur commerce international, la façade maritime et les infrastructures portuaires ne sont pas suffisamment développées. La faiblesse des ports du littoral maghrébin résulte pour partie de leur éparpillement, aucun ne figurant parmi les 100 premiers grands ports mondiaux. Le Maroc (avec le port Tanger Méditerranée), la Tunisie (avec le port de Tunis-la Goulette) et l’Algérie (avec le port de Djen Djen) ont lancé des politiques de dynamisation de leur façade maritime afin d’accroître le trafic portuaire en développant de nouvelles infrastructures. Néanmoins, leurs efforts sont mis en concurrence non seulement entre eux, mais surtout avec de grands hubs méditerranéens déjà très en avance depuis les années 1990, tel que les grands ports de Malte, d’Italie ou d’Espagne.

En outre, la majorité des échanges commerciaux se font vers l’Europe, mais peu entre pays du Maghreb, ce qui démontre une faiblesse des relations économiques régionales, qui n’en font pas un espace logistique intégré. Le même constat peut être dressé en matière d’infrastructures routières et ferroviaires, malgré l’avancement du projet d’autoroute soutenu par l’UpM dont les derniers raccordements attendent un acte politique du Maroc et de l’Algérie. Enfin, il importe également de développer les réseaux de transports d’énergie et notamment l’interconnexion des réseaux d’électricité.

Un potentiel touristique à diversifier

Le tourisme reste un atout immense du nord de l’Afrique, encore insuffisamment exploité. On pense naturellement à l’Algérie, à la Libye et à la Mauritanie qui, en raison de leurs situations politique et sécuritaire sont sous-équipées. La Tunisie et le Maroc : le secteur représente environ 7 % du PIB et 400 000 emplois directs, mais il reste très dépendant des tours opérateurs et du tourisme de masse. Une politique de montée en gamme est envisageable pour donner un nouvel élan. Elle peut s’appuyer sur un patrimoine exceptionnel, des sites naturels et la possibilité de pratiques de sports en plein air à côté du tourisme balnéaire traditionnel. De même, la diversification de la clientèle devrait être poursuivie en direction de l’Europe de l’Est, de la Russie ou des pays du Moyen-Orient. Il faudra toutefois veiller à ce que la concurrence entre pays ne conduise pas à des surcapacités inutiles et coûteuses et maîtriser cette évolution en terme environnemental.

Une culture de l’État voisine de celle des Européens

Enfin, institutionnellement, les pays du Maghreb, notamment l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, disposent d’une ossature étatique, administrative et de service public solide. Malgré un certain manque d’efficacité et de transparence, comparé aux standards européens, cette charpente repose sur une culture populaire de l’État, la reconnaissance de son rôle, de son autorité, de sa légitimité ainsi que de sa nécessité. Ainsi, le sentiment d’appartenance à une même nation par un peuple et une certaine idée du bien commun se retrouve chez une large majorité des habitants du Maroc, de la Tunisie ou de l’Algérie. Grâce à la proximité culturelle, historique et même géographique avec la France et l’Europe, l’organisation administrative et les règles de droit public ont pu primer à travers les dernières décennies, malgré des soubresauts politiques. Toutefois, trop d’instabilité et de menaces économiques ou terroristes, pourraient ébranler ces fondations solides. C’est pourquoi il est important de les conforter.

Les conditions du développement géoéconomique des liens méditerranéens

La stabilité politique à assurer

La stabilité politique est une condition sine qua non pour permettre au Maghreb de prospérer et de se développer. Le renforcement de la démocratie comme le développement économique et social exigent des institutions stables, la mise en place d’un véritable État de droit, un dialogue avec les sociétés civiles et une place bien définie de l’armée dans le jeu politique. Au cours des trois dernières années, les pays du Maghreb ont été marqués par des changements de régimes, comme en Tunisie et en Libye, par des changements constitutionnels, comme au Maroc ou des promesses constitutionnelles, comme en Algérie. C’est sans doute dans cette région que les Printemps arabes ont permis les avancées démocratiques le plus pérennes, même si la situation doit être appréciée État par État, et si la situation de l’État de droit reste à parfaire sensiblement.

Ainsi le Maroc, à l’issue d’une réforme constitutionnelle, qui modernise les institutions et après l’arrivée au pouvoir d’une composante islamique, a su, sous l’influence inclusive du Roi, préserver sa stabilité politique.

La Tunisie, point de départ des Printemps arabes, s’est, aux termes d’affrontements politiques, dotée d’une nouvelle Constitution acceptée par l’ensemble des forces politiques. Malgré la présence dans certaines régions de groupes terroristes actifs, la situation semble sous contrôle grâce à la solidité du consensus obtenu au sein des forces politiques et de la société civile pour conduire le redressement économique du pays. Le déroulement des élections du 26 octobre 2014 (les secondes élections libres après celles du 23 octobre 2011) confirme la poursuite de la transition démocratique commencée avec la chute du régime de Ben Ali et l’adoption de la nouvelle Constitution le 26 janvier 2014. Devancé en nombre de sièges par la coalition Nida Tounès, le parti islamiste Ennahda en a accepté les résultats.

En Algérie, le choix de reconduire pour un quatrième mandat le président Bouteflika est sans doute, un choix par défaut, dans un pays encore traumatisé par la terrible guerre civile des années 1990, mais il a permis d’assurer une certaine stabilité. Il reste qu’une situation politique figée ne prépare guère l’avenir, ni sur le plan politique, ni sur le plan économique où la dépendance de la rente pétrolière n’incite guère au dynamisme. La situation politique est assez semblable en Mauritanie avec la réélection du président Mohamed Ould abdel Aziz sans participation de l’opposition en juin 2014. Quant à la Libye, l’absence de structures étatiques viables sous la dictature personnelle de Kadhafi et le manque d’accompagnement au sortir de la guerre qui a conduit à sa chute, ont entraîné la faillite de l’État. Depuis le mois d’août 2014, le gouvernement libyen n’a plus le contrôle du pays, et l’État est en décomposition, aux prises avec deux foyers d’instabilité, au nord et au sud, des frontières complètement poreuses, un effondrement des cadres institutionnels et des combats au cœur du pays.

La sécurité est sans doute un bien à préserver à tout prix

La sécurité régionale représente un défi en raison de la présence et de la proximité d’espaces peu peuplés et difficilement contrôlables, notamment dans la bande saharo-sahélienne, qui sont devenus des hubs de trafics illégaux et où agissent des groupes terroristes. L’Afrique du Nord reste sous la menace d’opération de groupes plus ou moins affiliés à Al Qaeda ou plus récemment à Daech. L’enlèvement et l’assassinat d’un Français, en septembre dernier, en Kabylie, illustre cette fragilité.

Une coopération entre tous les pays de cette zone est absolument nécessaire afin de lutter contre ce fléau. À l’exception de la Libye, les armées des pays du Maghreb se sont renforcées ; mais la coopération régionale reste insuffisante, notamment entre le Maroc et l’Algérie, et se limite à de simples échanges de renseignements en raison de leur rivalité ancienne sur le Sahara occidental. Pourtant aujourd’hui, on le voit bien, ces groupes terroristes ne respectent les frontières ni dans leur idéologie, ni dans leurs opérations. C’est bien dans les modalités de contrôle des frontières que devraient se manifester les premières bases de coopération entre les États.

L’Europe pourrait la favoriser. La stratégie Sahel de l’UE, par exemple, a permis d’avoir une approche globale et a vocation à être mise en œuvre rapidement. De plus, la question est régulièrement abordée lors des réunions du Dialogue 5+5 [10][10]Cadre de rencontre entre pays du bassin Méditerranéen, le…. Il y a une certaine urgence à agir. La France a pris ses responsabilités en 2013 au Mali et assure la sécurisation d’un large secteur au sud du Maghreb, de la Mauritanie au Tchad ; grâce aux déploiements militaires des opérations Serval puis Barkhane, elle a contribué à l’affaiblissement de la menace terroriste au sud du Maghreb, mais la déliquescence de la situation politique en Libye crée une situation de chaos propice au déplacement de celle-ci.

Concernant la sécurité des espaces maritimes et des flux économiques, une étroite coopération entre pays du Maghreb est de plus en plus nécessaire, afin de garantir la traversée des flux commerciaux à travers la Méditerranée. La Méditerranée accueille 30 % du commerce mondial et 25 % du trafic mondial d’hydrocarbures transitant par la mer ; les flux intra-méditerranéens (60 %) dominent désormais sur le transit (40 %). Ainsi, la déstabilisation de certains États pourrait s’avérer problématique pour le trafic maritime et les gazoducs dans le cas où les groupes terroristes viendraient à s’y implanter. Par exemple, le rail longeant à faible distance les côtes du Maghreb du détroit de Sicile qui concentre une grande part du commerce maritime, est une zone extrêmement sensible.

Enfin, la Méditerranée est le point de passage d’une immigration de masse, qui s’est concentrée vers les côtes italiennes, en raison de l’effondrement de la Libye. Cette menace nécessite une réponse collective des pays d’Afrique du Nord et des pays européens et au préalable la reconstruction de l’État en Libye. Elle pourrait s’avérer efficace. À cet égard, l’expérience marocaine, sa collaboration tant avec les pays de destination, au premier rang desquels l’Espagne, mais aussi avec les pays africains d’origine et de transit dans le cadre du processus de Rabat est exemplaire. Selon les données fournies par Frontex, les arrivées de migrants en Espagne (en provenance des côtes marocaines ou algériennes) a baissé de 65,9 % de 2013 à 2014, tandis qu’elles augmentaient de 175,3 % en Italie et de 84,6 % à Malte en provenance principalement des côtes libyennes, mais parfois aussi d’Égypte.

L’État de droit doit être conforté

Pour autant, il serait dommage de perdre de vue que c’est sur le fondement d’un État de droit que peut se construire l’ensemble des règles juridiques qui apportera une sécurité dans les relations entre personnes et un cadre pour les activités économiques et notamment des investissements étrangers.

Dans cette optique, une coopération de longue date a été engagée avec les pays du Maghreb à travers les échanges universitaires mais aussi de la coopération institutionnelle. Apporter une expertise dans le domaine de la gouvernance, de la modernisation de leur administration et de l’élaboration de politiques publiques est objectif de l’UE. La France est aussi un acteur dans ces domaines.

L’ensemble des pays du Maghreb est loin d’avoir atteint les standards européens en matière de libertés publiques ou de droits des femmes. Un trop grand nombre de manifestations continuent à être réprimées avec une utilisation disproportionnée de la force et la culture des forces de sécurité reste autoritaire. Par ailleurs, la corruption touche de trop nombreux secteurs, y compris la justice et aucune stratégie nationale efficace contre la corruption n’a encore été mise en place.

Parmi eux, le Maroc, même s’il dispose encore d’une marge importante de progression, apparait comme un précurseur. La question des droits de l’homme est inscrite à l’agenda politique avec une volonté manifeste de progresser et la mise en place d’institutions indépendantes de contrôle. Par ailleurs, en dépit du conservatisme religieux de la société marocaine, le Roi se montre favorable à la promotion des femmes, en particulier depuis 2004, grâce à une réforme du code de la famille.

En Algérie, la question n’est guère soulevée, ce qui ne veut pas dire que les atteintes ne sont pas réelles de la part des forces de sécurité et que les libertés d’association ou de manifestation ne sont pas étroitement encadrées. En revanche, la presse jouit d’une assez large liberté d’expression et de critique.

En Tunisie, la question a avancé dans le cadre du débat constitutionnel. Le statut personnel dont les femmes bénéficiaient depuis 1956 (une exception dans le monde arabe) a été préservé, voire renforcé, comme la protection des libertés publiques aux termes de débats vigoureux au sein de l’Assemblée constituante. La société civile est dynamique, libre d’agir et de manifester pour exprimer ses opinions. Présentée comme un modèle de réussite démocratique, un espoir, capable de concurrencer les projets radicaux à œuvre dans certains pays, la Tunisie est largement soutenue dans ces efforts par la France [11][11]La dernière visite du Premier ministre Manuel Valls en Tunisie,….

L’UE a aussi pour ambition que la transition démocratique en Tunisie soit un modèle pour la région. Dans le cadre de son programme’SPRING [12][12]Support for Partnerships, Reforms and INclusive Growth.’, elle a déjà alloué au total 165 millions d’euros pour soutenir les réformes et l’économie du pays. Dans ce même cadre, le Maroc a bénéficié d’un montant global de 129 millions et l’Algérie une enveloppe de 10 millions d’euros.

L’engagement européen et français pour soutenir la région

Les évènements politiques (le Printemps arabe) en 2011 n’ont pas fondamentalement transformé l’équilibre régional ni modifié en profondeur les relations euro-méditerranéennes. L’engagement européen auprès du Maghreb se dessine sous plusieurs formes.

La première a pour cadre les politiques de voisinage qui, depuis 2004, visent à renforcer les relations afin de promouvoir la prospérité, la mobilité et la sécurité des frontières. Elles s’appuient sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l’homme, l’État de droit, la bonne gouvernance, les principes de l’économie de marché et le développement durable. À cet effet, les États intéressés - c’est le cas du Maroc et de la Tunisie - concluent des plans d’action bilatéraux communs avec l’UE. Les évènements ont rendu nécessaire une évolution rapide de ces politiques et notamment l’affirmation d’un principe de conditionnalité qui lie l’augmentation du soutien européen aux engagements de réformes dans tous les domaines y compris en matière de lutte contre l’immigration illégale et l’affichage de quatre priorités d’action [13][13]Communication conjointe de la Commission et du SEAE du 17… : soutien à la société civile, soutien aux réformes démocratiques, intégration économique à travers des Accords de libre-échange complets et approfondis (ALECA) et les questions migratoires. L’UE encourage également l’intégration régionale [14][14]Elle assure la coprésidence de l’Union pour la Méditerranée…. Sur ces bases nouvelles, un partenariat privilégié a été signé en novembre 2012 avec la Tunisie et avec le Maroc, la négociation d’un ALECA a été lancée en mars 2013 et un partenariat pour la mobilité signé en juin de la même année. Avec l’Algérie, partenaire peu actif malgré la conclusion d’un accord d’association en 2005, des négociations en vue de la conclusion d’un plan d’action ont été relancées en mai 2013. Reste que ces politiques de voisinage rencontrent des limites, notamment budgétaires avec la stabilisation des ressources affectées à 15,4 milliards d’euros courants pour la période 2014-2020, montant identique en euros constants à la période 2007-2013.

La seconde sur laquelle beaucoup d’espoirs ont été fondés est un processus multilatéral, dit « de Barcelone » lors de son lancement en 1995, auquel un nouvel élan a été donné avec la création en 2008 de l’UpM, regroupant 43 pays riverains. Las, qui trop embrasse mal étreint, les tensions nées du conflit israélo-palestinien ont, dès janvier 2009, empêché le fonctionnement politique de l’organisation. Néanmoins, celle-ci est devenue un opérateur de projets communs d’autant plus indispensable qu’il est actuellement le seul, les autres organisations multilatérales communes, plus opérationnelles sur le plan du dialogue comme le Dialogue 5+5 en étant dépourvu.

Le Dialogue 5+5, instauré en 1990, fondé sur le même principe, permet aux dix pays de la Méditerranée occidentale, proches par la géographie, la culture et l’histoire, de nouer un dialogue dense et des coopérations dans tous les domaines, tels que l’immigration, la sécurité, les trafics illégaux, etc. Il a le grand intérêt de créer le cadre d’un dialogue apaisé entre les ministres du Maghreb sous le regard des partenaires européens à propos de problèmes communs alors que cette région du monde est celle où la coopération régionale est la plus faible. La défiance mutuelle dans laquelle ces pays s’enferment pourrait s’atténuer grâce à ce travail en commun. Il fournit donc un cadre de travail qui fonctionne et qu’il convient de conforter en l’articulant avec les autres cercles d’intervention, mais sans en alourdir les structures. De fait, l’articulation des trois niveaux est indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble : le Dialogue pour le dialogue politique et le lancement de projets, l’UpM pour l’ingénierie technique et financière des projets, les politiques de voisinage pour la définition du cadre général de la coopération et le financement de certaines opérations.

Dans cette partition, les États ont un rôle essentiel à jouer, les États riverains du Nord au premier chef [15][15]Le président de la République a visité les trois pays au cours…, mais sans exclusivité. Ils doivent convaincre l’ensemble des pays membres de l’Union européenne d’investir au Sud, pour conforter la stabilité politique et économique de cette région, éviter un effondrement étatique aux portes de l’Europe avec les risques sécuritaires qu’il entraîne et trouver dans cette région dynamique, un relais évident de croissance dans leur proximité immédiate. Il y a là, pour l’Europe, un enjeu stratégique de premier ordre, il est dommage qu’elle ne se mobilise pas davantage. La redéfinition de la politique européenne devra prendre en compte la Méditerranée, non comme une région périphérique mais comme un cercle à intégrer avec des objectifs et des politiques communes. Puisse la présidence italienne apporter un nouveau souffle et puisse la France mettre un peu d’ordre dans les structures [16][16]De multiples entités sont en charge des relations avec le… en charge de ces questions pour leur donner plus de lisibilité et de visibilité.

Notes

En 2013 : Algérie : 2,7 % ; Maroc : 4,4 % ; Tunisie : 2,8 % ; Mauritanie : 6,7 % ; la Libye en guerre civile affiche une baisse de 9,4 % après une hausse de 104,2 % en 2012 (source :Banque mondiale).

J.-L. Guigou, « Le Maghreb peut devenir le " Mexique " de l’Union européenne », Le Monde, 9 septembre 2014.

L’augmentation du commerce euro-algérien (5 % entre 2008 et 2012) est dûe majoritairement à l’augmentation des prix du pétrole - en effet, 98 % des imports européens depuis l’Algérie concernent l’énergie.

J.-L. Guigou, « Fédéralisme au Nord, régionalisme au Sud », in Humeur n°114, 29 Mai 2013.

BAFD - Note économique, Comment lutter contre le chômage des jeunes au Maghreb ?, (2011).

Ils sont aussi parmi les premiers producteurs de phosphate et leur sous-sol est riche en matières premières (notamment en Mauritanie).

Compte tenu de la situation de guerre civile, la production et les exportations de pétrole ont baissé sensiblement en Libye en 2014.

IPEMED, « Vers une communauté euro-méditerranéenne de l’énergie : passer de l’import-export à un nouveau modèle énergétique régional », mai 2013.

En éolien, les réalisations et les projets sont nombreux : le site de Sidi Daoud en Tunisie, un projet de ferme éolienne en Algérie à Adrar, et au Maroc (Tétouan). En solaire thermique, au Maroc, la première tranche de la centrale solaire thermique à concentration de Ouarzazate (160 MW) entrera en service en 2015, et un projet de centrale hybride gaz-solaire est annoncé, en Algérie de nombreux projets sont en cours et une étude pour la construction d’une petite centrale solaire à tours à Blida (Algérie) a été lancée. En photovoltaïque, les programmes d’électrification rurale décentralisée et de chauffe-eau solaire ont été développés à grande échelle.

Cadre de rencontre entre pays du bassin Méditerranéen, le Dialogue 5+5, instauré en 1990 à Rome, a pour objectif d’engager un processus de coopération régionale en Méditerranée Occidentale entre les dix pays suivants : l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal ainsi que Malte pour la rive Nord, et les cinq pays de l’Union du maghreb arabe pour la rive Sud (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie).

La dernière visite du Premier ministre Manuel Valls en Tunisie, le 8 septembre 2014, était placée sous l’objectif « Investir pour la Tunisie, Start up démocratique ».

Support for Partnerships, Reforms and INclusive Growth.

Communication conjointe de la Commission et du SEAE du 17 décembre 2012.

Elle assure la coprésidence de l’Union pour la Méditerranée (UpM).

Le président de la République a visité les trois pays au cours de la première année de son mandat ce qui montre l’intérêt de la France pour cette région. Le premier a été l’occasion de renouer le dialogue avec l’Algérie. L’Espagne est très investie au Maroc et en Algérie.

De multiples entités sont en charge des relations avec le Maghreb : le ministère des Affaires étrangères désormais compétent également en matière de développement international et de commerce extérieur (à travers sa direction Afrique du Nord-Moyen-Orient, la direction générale de la mondialisation, un ambassadeur spécialement chargé du dialogue 5+5, l’AFD, Ubifrance, etc.) ; le ministère de l’Économie à travers la direction générale du Trésor, et une délégation interministérielle à la Méditerranée, etc.

Mis en ligne sur Cairn.info le 12/01/2015

 

En espérant un rapide déconfinement et une proche reprise qui nous permettrait de débattre de la question, plutôt complexe en ce qui concerne la relation UE-Algérie, je vous souhaite bonne lecture et surtout prompte réflexion quant à votre travail de recherche. Vous avez mes coordonnées électroniques, elles vous permettront de me joindre quand vous le souhaitez.

المزيد من المحتوى: